Les Rois
C'est une troupe de gamins
Qui porte la virevoltante
étoile
De toile
Au bout d'un bâton vain.
Le vieux maître d'école
Leur a donné congé ;
L'hiver est blanc, la
neige vole,
Le bord du toit en est
frangé.
Et par les cours, et par
les rues,
Et deux par deux et trois
par trois,
Ils vont chantant avec des
voix
Qui muent,
Tantôt grêles, tantôt
fortes,
De porte en porte,
La complainte du jour des
Rois.
" Avec leurs coeurs,
avec leurs voeux,
Toquets de vair, souliers
de plumes,
Collets de soie et longs
cheveux,
Et blancs comme est
blanche l'écume,
Faldera, falderie,
Vierge Marie,
Voici venir, sur leurs
grands palefrois,
Les bons mages qui sont
des rois. "
" Avec leurs coeurs,
avec leurs voeux,
Jambes rêches, tignasses
rousses,
Vêtement lâche en peaux de
boeufs,
Mais doux comme est douce
la mousse,
Faldera, falderie,
Vierge Marie,
Voici venir, avec
troupeaux et chiens,
Les vieux bergers qui ne
sont rien. "
" Avec leurs coeurs,
avec leurs voeux
Sabots rouges, casquettes
brunes,
Mentons gercés et nez
morveux
Et froids comme est froide
la lune,
Faldera, falderie,
Vierge Marie,
Voici venir, au sortir de
l'école,
Ceux qui demandent une
obole. "
Et sur le seuil des
torpides maisons,
Non pas à flots, ni à
foisons,
Mais revêches et
rarissimes,
Comme si le cuivre
craignait le froid,
Sont égrenés, du bout des
doigts,
Les minimes centimes.
Les gamins crient,
Et remercient,
Happent l'argent qui leur
échoit ;
Et chacun d'eux, à tour de
rôle,
Et sur le front, et sur le
torse, et les épaules,
Se trace, avec le sou, le
signe de la croix.
Émile VERHAEREN
|