Une année passagère

« Encore un peu de temps, très peu
de temps… »
Le jour de l’An. Passagère d’une nouvelle année riche d’espoir de
futiles espérances, de promesses non tenues, de résolutions égarées sur les
bords de la trace. Un temps pour la réflexion, un délai pour l’avenir, une
constante de continuité dans le destin, une pause restreignant le sursis.
La maison était curée, nettoyée avec une eau dans laquelle avaient
macéré diverses herbes médicinales et feuillages censée attirer la chance ou chasser la
déveine. La vaisselle brillait, tout était propre, les moindres recoins
dépoussiérés et tout sentait le grésil.
La tradition voulait qu’en ce jour on sème des graines, d’orange,
de riz, de lentilles, de haricots, de glisser des pièces de monnaie sous les
lits et dans les coins, ceux-ci devant apporter prospérité et argent dans le
foyer.
La famille endimanchée se rendait à la messe, bien trop longue au goût
des enfants. L’air était lumineux emplit de convivialité, de tendresse, chacun venait présenter ses vœux pour le nouvel an, les cadets visitaient les
aînés, on se recevait et se réconciliait, laissant derrière soi toutes les
infortunes, les rancunes et les rancœurs de l’année précédente.
C’est un Homme neuf qui naissait en ce jour.
Le rhum et le champagne trônaient sur les buffets, les fleurs et les
fruits garnissaient les tables drapés de leur plus belle nappe brodée. A midi, le fricassé de langouste
alléchait le palais et l’agneau roussi accompagnerait le riz senti-caca et les
pois rouges.
Le soir, les bals se
remplissaient de réveillonneurs vêtus d’habits écarlates, parés de leurs plus
beaux bijoux fêtant
l’ineptie. Gérard et Monique seront de sortie. Les enfants sont tristes,
pourtant ils ont eu de beaux habits neufs, un pyjama neuf, un billet de
cinquante francs, bu du vermouth et raclé le sucre du fond des verres de
rhum que les invités négligeaient, ils sont tristes car cette nuit ils seront seuls, absents d’une fête qui n’est pas
la leur.
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