Les écrivains croient à Noël
De Maupassant à Jacques Laurent, en passant par
Tchekov et Fitzgerald, Noël fait partie de la tradition littéraire à
part entière.
C'est sans doute parce que tout cela s'est passé en décembre que
maintenant, en y songeant, je trouve dans ma mémoire comme une douceur
de neige fraîche, de feu dans la cheminée et de sels jetés à la diable
sur les routes du bonheur. En réalité, il n'y avait ni verglas, ni
bûches qui craquaient dans la cheminée. Mais on sait bien qu'il suffit
d'un Noël de neige caché dans les prairies du souvenir pour enneiger
tous les Noëls. Quelques jours avant le 25 décembre, j'étais allé
rendre visite à Jacques Laurent chez lui, rue Chomel à Paris, pour lui
parler de son petit livre intitulé Croire à Noël. Un ouvrage publié
chez Grasset sous le nom de Cécil Saint-Laurent en 1957 et assumé
quelques décennies plus tard sous celui de Jacques Laurent, de
l'Académie française, à l'occasion de sa réédition dans la collection
les «Cahiers rouges ».
Huit contes moraux écrits pour se souvenir que la douce nuit ne sera
jamais semblable à toutes les autres nuits. On y voit une panthère
affamée s'abstenir de dévorer une starlette; un routier sauver une
grisette du suicide et rencontrer l'amitié ; Antoine le Républicain, un
soldat de l'an V, découvrir qu'il se produit un miracle tous les ans à
Noël. Ainsi Jacques Laurent s'est-il inscrit de manière tendre et
pudique dans une tradition littéraire illustrée avant lui par Andersen,
Maupassant et Tchekhov, mais aussi par son copain Blondin et des
Américains, comme O'Henry ou Scott Fitzgerald. À ces Noëls de
romanciers, il faut ajouter les Noëls de poètes, ceux de Marot,
Verlaine et Cendrars, de Marie Noël la bien nommée et du cher
Apollinaire. Comment oublier les « sapins en bonnets pointus...»
d'Alcools ? « Les sapins beaux musiciens/Chantent des noëls anciens/Au
vent des soirs d'automne…»
De ces Noëls de jadis et naguère, neigeux au-dehors et chauds
au-dedans, nous avons longuement parlé avec Jacques Laurent, sans doute
plus attaché qu'il ne daignait le montrer à l'esprit d'enfance. Il
n'avait pas intitulé un de ses romans Les Bêtises tout à fait par
hasard. « Dans Croire à Noël, j'évoque un conte de Charles Dickens,
dont un professeur nous avait lu le début. Longtemps, j'ai vécu dans
l'attente du jour où j'en connaîtrais la fin. Je ne suis pas un amateur
de Dickens, mais ses contes de Noël m'ont laissé un souvenir
inoubliable. J'aime beaucoup les contes d'Alphonse Daudet, également,
qui appartiennent plutôt au registre de la drôlerie, presque à celui de
la moquerie. Également ceux d'Andersen, très originaux, d'une
inspiration nordique assez éloignée de notre sensibilité, mais qui
convient bien à Noël, une fête du Nord. Le père Noël est arrivé en
France après la guerre de 1870, avec les Alsaciens qui avaient fui leur
province pour ne pas devenir Allemands. Avec le père Noël s'est imposé
l'usage du sapin, alors que le Christ est né dans un pays de palmiers.
Mais un mélange s'est fait entre la fête de Noël et la Saint-Nicolas,
le patron des enfants. C'est le résultat du mouvement de l'imaginaire à
travers les siècles ».
Une fête du merveilleux et des traditions
Attente de la fin de l'histoire, attente des cadeaux par les uns,
attente du Dieu par les autres : il n'y a pas de Noël réussi,ce temps
de l'attente et de l'Époché, sans « suspension » du jugement sur le
monde, comme le veut l'enchaînement, unique dans la liturgie latine,
des trois messes aux textes différents dont le révérend dom Balaguère,
« ancien prieur des barnabites, présentement chapelain gagé des sires
de Trinquelage » a tant de mal à venir à bout dans le célèbre conte
d'Alphonse Daudet. C'est pourquoi l'auteur des Corps tranquilles
goûtait Noël, cette fête du merveilleux et des traditions mélangées. «
Je n'aime pas le mot magie, mais il y a une magie incontestable de
Noël, même si elle va en s'effaçant. C'est délicieux cette neige de
Noël, cette marche des petits campagnards avec leur lanterne vers la
messe de minuit, cette chaleur du réveillon inscrites dans notre
imaginaire. »
Parmi tant de choses qui se sont perdues, voilà ce qui nous reste de
meilleur. On ne s'étonne donc pas de voir les livres de contes de Noël
régulièrement réédités, ceux de Selma Lagerlöf, l'auteur suédois du
Merveilleux Voyage de Nils Holgerson, ceux des frères Grimm et de
Dickens, mais aussi, mais surtout, de voir des écrivains contemporains
défendre et illustrer cette tradition. Ainsi Georges Lauris racontant
des histoires de Noël sorties de ses souvenirs d'enfant cévenol ou
Philippe Claudel, ciselant dans un morceau de sucre un conte à lire
sans délai dans ces pages.