Messe de Noël à
Villiers-le-Bel : "Paix à nos quartiers"
On dirait des Rois mages
arrivés avant l'heure dans les bagages de l'enfant Jésus. Ils sont
antillais, africains, vietnamiens, philippins, turcs chaldéens, etc.
Dans la crèche vivante, lundi soir 24 décembre à l'espace Marcel-Pagnol
de Villiers-le-Bel (Val-d'Oise), Marie est cap-verdienne et s'appelle,
en vrai, Maria ; Joseph, c'est Abdon, originaire du Bénin, Jésus une
petite fille de couleur. Seule Blanche, Caroline fait l'Ange. "Vous
êtes venus des quatre coins du monde", lance au micro Léon Debruynne,
curé d'une ville qui compte 80 nationalités. La messe de minuit, c'est
d'abord l'image de cette France des banlieues, mixte, cosmopolite, et
de l'Eglise de demain, également moins blanche que colorée et métissée.
La voici la nuit de Dieu, d'où le jour va naître comme un feu." Au
premier gospel, les corps dansent, les mains se lèvent. Mais, il y a un
mois jour pour jour, le dimanche 25 novembre, c'est un autre feu,
mauvais celui-là, qui embrasait Villiers-le Bel, cité de 27 000 âmes
qui se croyait paisible derrière ses pavillons et ses quartiers douteux
et se sent encore aujourd'hui la "honte" de France. Une ville écrasée
par le souvenir des deux nuits d'émeutes qui ont suivi la mort de
Larami Samoura et Mouhsin Cehhouli, du saccage d'un commissariat, de
magasins, d'écoles, d'une bibliothèque, de l'hospitalisation de
dizaines de policiers.
Le ciel leur est tombé sur la tête. "En une demi-heure, tout ce que
nous avions fait pendant dix-huit ans pour garantir la paix sociale
s'est effondré" : Barthélemy Agonhoumey, adjoint au maire, chrétien
engagé, ne se console pas. Les espaces verts, les "mails" piétonniers,
tracés pour relier les quartiers, semblent dérisoires face à une colère
qui ne demandait qu'à exploser.
Didier Vaillant, le maire socialiste, a reçu les responsables de toutes
les associations, écoles et confessions – juive, musulmane, catholique,
protestante. Il leur a dit en substance : "J'ai besoin de vous tous. Il
nous faut retisser la relation entre les habitants de Villiers." Cette
nuit de Noël, la communauté chrétienne relève le défi. Ils sont
plusieurs centaines, blottis dans une salle trop petite, prêtée par le
maire à une paroisse privée d'église pour cause de réfection. "Paix à
nos quartiers, paix à nos familles, paix au monde", s'écrie Jean-Yves
Riocreux, évêque de Pontoise, venu en voisin pour présider la messe.
Des fidèles montent sur le podium pour la "prière universelle" :
"Seigneur, aide-nous à surmonter nos préjugés (…). Aide-nous à
construire une société plus juste et plus conviviale." "Reçus comme des
princes" Le Père Léon Debruynne, Thérèse et Jacqueline, des Petites
Sœurs de Jésus qui ont vécu en caravane parmi les gens du voyage avant
d'habiter une ZAC de Villiers, ont répondu présent dès l'annonce de la
mort des deux adolescents marocain et sénégalais. Ils ont visité leurs
familles musulmanes. "Les Africains ont du respect pour la religion.
Nous avons été reçus comme des princes", assure le curé. Puis ils ont
participé aux "groupes de parole" dans les quartiers, entendu les
témoignages de violence, de démission des parents. Ils ont compris
l'impossibilité pour les jeunes qui n'ont pas la peau blanche d'accéder
à un emploi.
Ils ont participé aux "marches silencieuses" de jeunes, pris part dans
le gymnase à la prière musulmane avant le départ des cercueils. "Nos
prières sont montées vers Dieu, bien sûr pas par les mêmes chemins",
confie la Sœur Thérèse. A la fin de la cérémonie, l'imam a remercié le
maire et le "Père Léon". Un témoin ajoutera : "Une communauté de bonnes
sœurs fait parfois plus qu'un commissariat de police !" Jamais
autant de contacts n'avaient été noués entre responsables religieux.
Pour la première fois, le prêtre a rencontré le rabbin, Nissim Sultan.
L'Association islamique – 7 000 musulmans à Villiers – a invité la
communauté catholique à venir parler de la famille. Mais le curé de la
ville est loin d'être rassuré. "C'est toujours la peur. Chaque
communauté vit repliée sur son ghetto." Il a entendu un extrémiste dire
son souhait de construire à Villiers "une société musulmane, avec ses
services propres, y compris le coiffeur"! Ses paroissiens sont
eux-mêmes loin d'être convaincus par le dialogue des religions. "Il ne
s'agit pas de prier ensemble, car on n'a pas la même image de Dieu,
dédramatise le curé. Simplement se montrer bienveillant." A la sortie
de la messe, Joseph le Chaldéen et Serge le Gabonais se serrent la main
: "C'est bien d'avoir entendu un message de réconciliation. Nous avons
encore besoin d'être rassurés, apaisés."
Henri Tincq
|
|