Nwèl
an lè mônn (La Noël sur les mornes )
En
regardant les vitrines de Noël joyeusement décorées, me reviennent au
fur et à
mesure des souvenirs d’enfance. Noël quelle période mémorable pour la
petite
fille que j’étais et pas seulement pour les cadeaux que j’avais
mérités, aux
prix d’efforts de tous les instants afin de parvenir
à rester sage - les cadeaux reçus n’étant que
l’heureuse
conclusion de cette période, qui avait des résonances de fête, de joie,
d’allégresse et de chaleur humaine.
En
effet, bien avant le 24 décembre, dans
ce que l’on appelle la période de l’avent, nous
allions en famille le vendredi et le samedi
soir chanter des
cantiques de Noël. Ces « Chanté-Nwèl » se déroulaient chez des
particuliers
dont la plupart avaient leurs demeures situées à la campagne. C’est
ainsi
d’ailleurs que j’ai découvert des lieux en Martinique, notamment à
St-Joseph,
au Marigot et au Vauclin que je ne connaissais pas,
car nous n’avions pas de raisons
particulières d’aller dans ces endroits le
reste de l’année.
Les Chanté-Nwèl ayant imprimé fortement ma mémoire, pour la
plupart
se sont déroulés à
la campagne, je ne me souviens d’aucun passé à Fort de France, sans
doute parce
qu’à cette époque, cette tradition du Chanté-Nwèl était moribonde et ne
se
perpétuait que dans certaines campagnes reculées de
la Martinique.
Ces
occasions nous permettaient de revoir des personnes que nous n’avions
pas vues
depuis longtemps, tout du moins selon mon estimation d’enfant que j’avais du temps. J’appelais certaines
d’entre elles les amis de Noël, puisqu’il n’y a cette période de
l’année que
nous les rencontrions.
Les
Chantés-Nwèl font partie en Martinique (surtout) et en Guadeloupe, des
préparatifs de Noël qui sont une tradition qui mêle le profane au
sacré. Il
s’agit de rassemblement de personnes (des membres de la famille, des
voisins,
des amis…) à la tombée de la nuit qui chantent en cœur des cantiques
religieux
ayant trait à l’avènement du Christ sur terre. Ces
cantiques sont
inscrits sur
un petit livret et chantés sur des rythmes de biguine, mazurka ou
autres et
accompagnés instrumentalement par des
tambours, ti- bois ou autre cha-cha…
Bien
sur à ces soirées de chants, conformément à l’esprit d’origine de cette
tradition basée sur la participation et la convivialité, nous
n’arrivions
jamais les mains vides, nous apportions quelques nourritures comme des
pâtés de
noël, du jambon noël ou quelques boissons.
Mais
au temps de mon enfance, les Chanté-Nwèl avaient déjà subit une
évolution,
autrefois s’il y avait « à boire et manger » lors des ces veillées de
Noël, les
tables n’étaient pas abondamment garnies car les gens modestes vivaient
humblement et le choix des alcools
n’étaient pas variés.
A
la lueur des bougies et de la lampe à pétrole on y buvait évidement le
punch
mais on servait aussi aux dames et aux
enfants du sirop d’orgeat et du chocolat épaissi au toloman[1] (parce que lait
étant une denrée chère, il ne se servait qu’aux grandes occasions). Par
conséquent on ne buvait le punch coco ou le
schrub qui sont les alcools dits de Noël, qu’à partir
du jour de Noël et pas avant comme à
l’époque de mon enfance.
Curieusement
un épisode cocasse me vient en mémoire,
il s’agit d’une fois où je m’étais fait embêter par un garçonnet, d’un
an ou de
deux de plus que moi et qui était le fils de la maisonnée où nous
étions.
Pendant
de longues minutes, il n’avait eut de
cesse de me turlupiner pour jouer avec lui avec ses petites voitures.
Cette
proposition ne me paraissait pas passionnante, voire même incongrue à
coté de
l’ambiance festive qui régnait dans la maison. Je
lui avais alors répondu par la négative, vexé par
mon refus, ce
dernier m’avait assené, avec ce ton que savent prendre les enfants
quand ils
veulent vous blesser par dépit, que je chantais comme « une casserole
toute pourrie
! ».
Mais
l’enfance ne dure qu’un temps, et bien plus tard, quand je fus
adolescente et
adulte, le 24 décembre je rejoignais un groupe des chanteurs de
cantiques et nous passions de maison en
maison,
certains avec sur le dos les instruments de musique. Arrivés devant les
maisons
nous toquions à la porte et nous demandions à l’habitant s’il acceptait
que
nous chantions « la Noël » chez lui. La réponse était toujours
favorable, parce
qu’en réalité nous étions attendus.
Nous
entonnions deux ou trois cantiques pas plus et en retour le maître de
maison où
nous faisions la halte nous donnait de quoi nous restaurer.
Puis,
une fois les ventres et les gosiers rassérénés ces gens nous
emboîtaient le
pas, et poursuivaient avec nous le Chanté
Nwèl qui durait jusqu'à épuisement du petit
livret de cantique.
Ainsi
dans cette campagne sombre, qui n’était pas très éclairée, il y avait
de la
joie, de la vie et de la convivialité.
Ajoutons
qu’au petit matin beaucoup n’y voyaient goutte, non pas à cause de la
pénombre
ou de la nuit, mais en raison des
nombreux verres d’alcools avalés pour se réchauffer de la fraîcheur
nocturne
ou pour se « chauffer la voix ».
Ces
Chantés Nwèl était pour certains un prétexte de « saoulerie »,
au petit jour il y en avait n’arrivaient pas
à mettre un pied devant l’autre. Ainsi pour éviter de les voir
s’éparpiller sur
le trajet, puis aussi parce que c’est fatiguant de circuler ainsi en
grimpant
et descendant les mornes, une solution a été trouvée au fil des années
à savoir
qu’au petit matin nous arrêtions notre parcours chez une personne,
celle qui le
voulait bien. Nous y faisions une sorte de final.
Ensuite
à la fin de nos chants tout le monde se donnait de joyeuses accolades,
les
rires fusaient et les « Joyeux Noël » étaient parfois ponctués de
bisous
sonores.
Emmanuelle
Deschè
[1]
La farine de toloman. Produit naturel à base de racine de toloman. A
utiliser
pour épaissir lait, chocolat, sauce etc.
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