Pourquoi ne chante-t-on
plus Noël ?
Au contraire des
États-Unis et de leur obsédante «holiday music», la France ne chante
plus la Nativité, d’où une originale opération soutenue par le
ministère de la Culture.
Il suffit d’avoir voyagé aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en
Allemagne à partir de la fin novembre pour se rendre compte que l’on ne
chante guère Noël en France. On a beau entendre ici où ou là les
clochettes de Jingle Bells ou Tino Rossi dans Petit papa Noël, force
est d’admettre que les Français n’ont guère le goût de ce que les
Américains appellent holiday music (qu’il faut comprendre, non comme
«musique de vacances», mais comme «musique des jours saints»).
Là encore, il faut comparer: à kitsch égal des pochettes, les
références françaises sont assez rares, en comparaison avec les rayons
spéciaux dans les magasins de disques anglo-saxons. À côté des
bataillons serrés des classiques du jazz ou de la pop – Bing Crosby,
Louis Armstrong, Elvis Presley, Frank Sinatra, Nat King Cole, Ella
Fitzgerald… –, tous les genres livrent chaque année leur content de
disques de Noël. Mariah Carey, Prince, The White Stripes, Eels, Dolly
Parton, Britney Spears, Christina Aguilera, Bruce Springsteen, Ringo
Starr, Queen, Neil Diamond, Whitney Houston, Johnny Cash, The Supremes
et des centaines d’autres ont sacrifié au rite de l’ holiday music , en
faisant un secteur prospère.
Cadeaux et espoirs
Quel chanteur français ose une chanson de Noël ces dernières années ?
Récemment, on compte à peine Mon plus beau Noël de Johnny Hallyday ou
Lettre au père Noël de Patrick Bruel, chansons attendries mais à la
destinée commerciale discrète. Et il faut bien admettre que, depuis
Barbara et son amoureux – voire libertin – Joyeux Noël, en 1968, le
sujet ne fait plus recette.
Pourtant, la chanson réaliste en usa avec libéralité, peignant force
orphelins, clochards, prostituées et filles-mères accablés par le sort
cette nuit-là ou (bien plus rarement) comblés par la bonté des hommes
et du Ciel. Rends-moi mon papa ou Noël tragique par Berthe Sylva,
Prière de la Charlotte par Monique Morelli, Le Noël des clochards par
Pierre Doriaan et des dizaines d’autres font verser des larmes, tandis
que par centaines des chansons célèbrent la paix, la douceur, les
cadeaux ou les espoirs de Noël. Parmi celles-ci, une chanson écrite par
Raymond Vincy sur une musique de Henri Martinet pour Destins, un film
de Richard Pottier (qui réalisera aussi Caroline chérie ou Le chanteur
de Mexico. Tino Rossi, qui incarne les rôles de deux frères jumeaux aux
destinées dissemblables, chante à l’écran : «Petit papa Noël/Quand tu
descendras du ciel/Avec des jouets par milliers/N’oublie pas mon petit
soulier/Mais, avant de partir/Il faudra bien te couvrir/Dehors tu vas
avoir si froid/C’est un peu à cause de moi.» Depuis, la plupart des
Français n’ont pas appris grand-chose de plus de cette chanson, la plus
vendue de l’histoire du disque en France, avec plus de 3 millions
d’exemplaires.
Il est vrai qu’à part à l’école – et encore – les chants et les
chansons de Noël ont déserté le quotidien des Français. Recul de
pratique du catholicisme et laïcité plus pointilleuse à la «communale»
n’expliquent peut-être pas tout. De manière générale, que ce soit dans
les syndicats, les écoles de voile ou aux Beaux-Arts, chacun sait que
l’on chante moins que l’on a chanté, que la pratique vocale conviviale
est partout en recul depuis l’après-guerre. Noël n’échappe pas à la
règle selon laquelle les Français ont perdu l’habitude de chanter en
famille ou en société. Ainsi, d’un vaste répertoire de cantiques encore
connus de tous dans l’entre-deux-guerres, il ne reste plus dans la
mémoire collective que des bribes d’Il est né le divin enfant ou des
Anges dans nos campagnes.
Du cantique à la mazurka
Ainsi est-il savoureux que, tout récemment, sous les ors républicains
du ministère de la Culture et du secrétariat d’État à l’Outre-Mer, on
ait pu entendre chanter des cantiques de Noël. Des cantiques français,
certes, mais singuliers : cette année, une initiative du délégué
interministériel pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer,
Patrick Karam, fait soutenir par l’État une série de Chanté Nwèl sur le
territoire métropolitain jusqu’au 23 décembre (programme sur
www.culture.gouv.fr/culture/actualites/communiq/albanel/prognwel.pdf).
Car, aux Antilles, la pratique des cantiques est non seulement bien
vivace, mais constitue aussi une des sociabilités les plus dynamiques.
Dans le cercle de famille mais aussi en invitant voisins et amis, on se
réunit pour chanter en chœur des cantiques, pour boire et manger, mais
aussi pour clore les conflits de l’année et se réconcilier des
querelles en cours.
Les Chanté Nwèl, de plus en plus dynamiques ces dernières années, se
sont maintenant imposés dans les entreprises ou, le week-end, dans les
stades et les salles de concert des Antilles-Guyane. Les cantiques les
plus chantés (Dans le calme de la nuit, Joseph mon cher fidèle, Michaud
veillait, Allez mon voisin, Quand Dieu naquit à Noël, Oh la bonne
nouvelle, Naissez l’amour vous y convie) ont été préservés dans le
français volontiers chantourné du clergé des XVIII e et XIX e siècles,
certains ayant même sans doute été écrits sur place. Si certaines
mélodies venaient de métropole (celle de Quand Dieu naquit à Noël a
notamment servi pour un hymne à la guillotine pendant la Révolution),
elles ont pris l’accent rythmique des Antilles : Il est né le divin
enfant est ainsi devenu, en Martinique, une mazurka créole. Il est vrai
que Petit papa Noël n’est pas très dansant…
Bertrand Dicale
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