noelistique
pere noel


De bonnes raisons de croire au Père Noël

pere noel

Le Père Noël ne fascine pas seulement les enfants, il fascine aussi les sciences humaines. Dans un article paru il y a plus d'un demi-siècle, l'ethnologue Claude Lévi-Strauss montrait déjà comment la croyance au Père Noël ravivait des rites observables aussi bien dans la Rome antique que dans les tribus amérindiennes, à travers lesquels les sociétés conjurent la mort en honorant leurs enfants.

Mais Noël intrigue aussi les sociologues... Pourquoi avons-nous cru au Père Noël ? Et pourquoi, vers 7 ans en moyenne, cessons-nous d'y croire ? L'enquête de Gérald Bronner (Vie et mort des croyances collectives, Hermann, 2006) indique que nous avons chaque fois des "bonnes raisons" : enfants, nous faisions preuve de rationalité quand nous croyions au Père Noël, car notre croyance se fondait sur des preuves tangibles (une réponse à une lettre, des traces de pas dans la neige, des cadeaux...), et sur l'autorité et la crédibilité de la parole des adultes.

Mais l'abandon de cette croyance est tout aussi rationnel : c'est qu'elle n'a pas résisté aux assauts conjugués de l'incohérence (la prise de conscience de l'invraisemblance "technique" du mythe), de la concurrence (les copains qui affirment que ce sont les parents qui offrent les cadeaux), et surtout de la "dissonance" : un élément externe au mythe vient en ruiner la crédibilité, et c'est en général un parent que l'on reconnaît sous le déguisement du Père Noël, ou l'étiquette du magasin oubliée sur un cadeau...

cadeaux de noel

Il reste pourtant un dernier mystère sociologique de Noël, que cette approche qui met en avant la rationalité individuelle ne suffit pas à résoudre : comment se fait-il que, venant à peine de cesser d'y croire, nous tenions tant à continuer à "faire croire" au Père Noël, d'abord à nos frères et soeurs plus jeunes, ensuite à nos propres enfants ? La clé de ce mystère, c'est le rituel des cadeaux, décrit par les enquêtés comme l'élément central du mythe : par le don, qui met en scène autant qu'il réassure les liens qui en unissent les membres, c'est la famille qui se célèbre elle-même à Noël. Il y a déjà longtemps, l'ethnologue Marcel Mauss, dans sonEssai sur le don (1923-1924) - PUF, 2007 -, avait exploré les conséquences sociales de l'obligation de rendre engendrée par le don, et c'est cela qui va nous aider à résoudre l'énigme : faire croire au Père Noël, avec autant d'acharnement, c'est chercher à masquer les donateurs réels, pour libérer symboliquement les enfants de la dette impossible à rembourser qu'ils ont à l'égard de leurs parents.

pere Noel

Le Père Noël comme garant de la paix familiale, et à travers elle de la paix sociale ? Sans aller jusque-là, on ne peut manquer de s'étonner de la complicité bienveillante de l'appareil étatique (depuis 1962, la Poste répond chaque année à plusieurs centaines de milliers de lettres au Père Noël), et de celle, encore plus curieuse, de la psychanalyse... C'est en effet Françoise Dolto (soeur du ministre des PTT de l'époque) qui avait eu l'idée de cette réponse, rédigée de sa main, en ces termes :"Mon enfant chéri, ta gentille lettre m'a fait beaucoup de plaisir. Je t'envoie mon portrait. Tu vois que le facteur m'a trouvé, il est très malin. J'ai reçu beaucoup de commandes. Je ne sais pas si je pourrai t'apporter ce que tu m'as demandé. J'essaierai, mais je suis très vieux et quelquefois je me trompe. Il faut me pardonner. Sois sage, travaille bien. Je t'embrasse fort. Le Père Noël."

Pierre Mercklé est sociologue à l'Ecole normale supérieure de Lyon et au Centre Max-Weber (blog : pierremerckle.fr)

Pierre Mercklé


rennes





etoiles



Sommaire 2011