La crèche de Noël embarrasse la laïcitéMalgré les hésitations
de la mairie, pour la première fois, une crèche a été installée sur le marché
de Noël des Champs-Élysées à Paris. Par endroits, des
réticences se manifestent concernant l’expression religieuse pendant la période
de l’Avent. Les catholiques, eux, se
mobilisent pour redonner à la Nativité son sens chrétien. Le vœu
de Dominique de Causans, paroissien de Saint-Pierre-de-Chaillot, dans le 16e arrondissement de Paris, a bien
failli ne jamais se réaliser. Ce retraité intrépide a finalement tenu son
pari : transformer les Champs-Élysées en champ des bergers. Ou
comment introduire une crèche, avec Marie, Joseph, bœuf et âne, parmi les
chalets du principal marché de Noël parisien, plus connu pour sa fièvre
commerciale que pour son caractère traditionnel. « L’an dernier, en traversant
les allées du marché, j’ai entendu le refrain d’ Il est né le Divin enfant dans les haut-parleurs. Vous ne
pouvez pas savoir ce que cela m’a rajeuni ! Je me suis dit : il faut
une crèche sur ce marché. C’était une évidence. » LA VILLE DE PARIS PAS TRÈS FAVORABLE À L’INSTALLATION
DE LA CRÈCHE
Ni une,
ni deux, le septuagénaire va trouver son curé, qui l’encourage à concrétiser
son rêve. Charge à lui de l’assumer. Dominique de Causans rencontre alors
Marcel Campion, directeur du marché. « Nous
sommes tombés d’accord pour dire qu’un marché de Noël sans crèche, ce n’est pas
un vrai marché de Noël. » Mieux :
le magnat des forains propose de mettre un chalet à disposition de la paroisse,
dès l’année suivante. Sollicitées
à leur tour, les moniales de Bethléem acceptent de confier des modèles issus de
leur artisanat pour constituer une crèche. Mais, la veille de l’ouverture, la
mairie de Paris signifie à la paroisse que « la
connotation religieuse » du
projet risque de « gêner ». Les paroissiens sont déçus, et
la presse s’intéresse à l’affaire. Craignant
une polémique, la municipalité finit par autoriser la crèche sous trois
conditions : « Que
la paroisse n’apparaisse plus comme étant l’organisateur, qu’il n’y ait aucun
prosélytisme et aucune présence humaine » , résume Dominique de Causans.
Accommodement ? « Moi,
j’y vois un avantage, car ces critères ont le mérite d’institutionnaliser notre
crèche. Peu importe qui est derrière : 15 millions de visiteurs vont
passer devant et se laisser émerveiller. C’est cela qui compte. » « MARCHÉ DE L’AVANT » PLUTÔT QUE
« MARCHÉ DE L’AVENT »
Cette
hésitation reflète un certain malaise de la société française face à ses
propres racines. En particulier pendant la période de l’Avent, devenue pour
beaucoup une célébration de l’enfance, sans qu’il soit toujours nécessaire d’en
mentionner les fondements spirituels. Le
« Marché de l’ avAnt » (sic), organisé récemment par la ville de
Clamart, dans les Hauts-de-Seine, est symptomatique de cette propension. Ici,
c’est l’orthographe même du terme Avent qui a été lissée, comme pour en
laïciser le contenu. Interrogée à plusieurs reprises, la municipalité n’a pas
souhaité donner suite aux sollicitations de La
Croix . Au centre commercial Parly 2, dans les Yvelines, c’est une tradition vieille de vingt ans qui a manqué de disparaître : celle d’une immense crèche de santons provençaux, devenue l’une des attractions phares à cette période. Mais cette année, la direction a confié la gestion des chalets à un nouveau prestataire, lequel n’a pas souhaité reconduire le santonnier d’Aubagne – dont le stand, soit dit en passant, était plus commercial que pastoral.
LA MOBILISATION FAIT PLIER LA DIRECTION DU CENTRE
COMMERCIAL
Immédiatement,
les milieux catholiques traditionalistes – les mêmes qui ont fait campagne
contre deux pièces de théâtre jugées blasphématoires – mobilisent leurs
sympathisants sur les réseaux sociaux. Des paroissiens du Chesnay se mêlent à
la contestation. Le directeur de Parly 2 est inondé de courriers
hostiles. Tant et
si bien que, le 8 décembre, la direction du centre cherche à éteindre
l’incendie sur sa page Facebook : « Nous
avons bien noté que l’absence de crèche suscite de nombreuses réactions cette
année. Nous avons décidé d’installer une nouvelle crèche à partir de samedi
prochain. » Vicaire
au Chesnay, à quelques rues du centre commercial, le P. Pierre Amar s’est
improvisé conciliateur au cours de cet épisode digne de Don Camillo : « Je trouve déplacé d’invoquer
la christianophobie pour une histoire de crèche, concède-t-il. On n’est ni à Bagdad, ni au Caire,
ce ne sont pas nos Églises qui brûlent. Mais il est vrai qu’on a parfois le
sentiment que l’on étouffe les signes qui sont le ciment de notre
culture. » L « MÉMOIRE COLLECTIVE »
L’essentiel,
pour le P. Amar, est d’avoir pu dépasser la polémique : « Noël, c’est la crèche et les
gens y sont attachés. » Le
directeur du centre, Dusan Milutinovic, passablement agacé, rappelle pour sa
part que « la crèche est
ancrée dans l’identité de Parly 2 . Le retard dans sa mise en
place est le fruit d’un mauvais concours de circonstances. » En
province aussi, l’étable de Bethléem est parfois un sujet de discorde. L’an
passé, à Leers, non loin de Roubaix, un membre de l’opposition municipale a
tenté, en vain, d’obtenir l’interdiction d’une crèche, œuvre d’une artiste
locale. « Malgré
les attaques, je l’ai maintenue contre vents et marées » , tempête Jean-Claude Van Belle, maire
sans étiquette. Lui-même « croyant et pratiquant », il estime que « Noël, c’est la naissance
d’un enfant venu apporter la paix ; pourquoi le cacher ? » . Il en va, dit-il, « de la mémoire
collective » et ce
n’est « pas une
discrimination que de l’affirmer » . INTERDICTION DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF
À
Montiers, dans l’Oise, le conseil municipal a eu moins de chance : l’an
dernier, le tribunal administratif a tout bonnement interdit l’installation
d’une crèche. Des
crispations qui ne surprennent pas le P. Nicolas de Bremond d’Ars,
sociologue des religions, qui estime que « la
laïcité française ne sait plus comment fonctionner aujourd’hui ». Selon son analyse, les catholiques ont été longtemps « modelés » par l’idée que la religion devait être reléguée à la sphère privée. Mais depuis quinze ans, la montée de l’islam et des évangéliques bouscule le paysage :« Le consensus républicain sur l’expression des religions doit être redéfini. Nous assistons à la fin d’un modèle. Et certains catholiques y voient une occasion de réinvestir l’espace public, comme en témoigne la multiplication des processions, des chemins de croix… »
CONCURRENCER LE PÈRE NOËL !
Ainsi,
à Grenoble, le pôle évangélisation du diocèse a mis en scène une saisissante
crèche vivante dans les rues de la ville, avec costumes et animaux de
ferme : « Nous avons
cherché à concurrencer le Père Noël qui nous a piqué la vedette ! » , résume avec humour Gwendoline Clech,
22 ans, membre de la pastorale des jeunes. Les
plus hardis n’ont pas hésité à donner de leur personne : « Un père de famille, qui
passait par là, nous a confié son bébé de 9 mois pour tenir le rôle de Jésus.
Quant aux policiers, ils sont restés une bonne partie de la journée avec nous.
Nous avons été bien accueillis, n’en déplaise à ceux qui voudraient nous voir cantonnés
dans nos églises. » À
Chatou, en région parisienne, la paroisse s’est associée aux commerçants pour
proposer des animations et redonner à Noël sa dimension conviviale. L’opération
« Vivre Noël autrement », menée chaque année par la Mission de France,
s’inscrit dans la même optique. Tout comme la « Fête de la solidarité et
des enfants », organisée le 10 décembre par la mairie du 16e arrondissement de Paris, en
partenariat avec la paroisse Sainte-Jeanne-de-Chantal. Pour le
député et maire UMP Claude Goasguen, « la
paroisse est un bon moyen pour permettre aux habitants du quartier de se
rencontrer. Si respecter la laïcité, c’est nier la solidarité dans une période
où elle est plus que jamais nécessaire, alors la laïcité n’est plus à sa
place. » François-Xavier Maigre
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