6 décembre Saint Nicolas ou Père Noël ? Saint Nicolas, patron des écoliersComment est-il possible
d’être en même temps un des personnages les plus connus du calendrier (le Père Noël)
et de rester, en dehors de la Belgique, de la Hollande, de l’Alsace et de la
Lorraine, un parfait inconnu ? La recette : s’appeler Nicolas (en bas allemand Niklaus ou Klaus), émigrer aux États-Unis sous le
nom à peine dissimulé de Santa
Claus et, quittant son cheval blanc pour un attelage de rennes,
devenir ainsi la vedette incontestée des fêtes de fin d’année … tout en
conservant son anonymat ! Si l’on écoute nos
contemporains, le Père Noël est un héros spécifiquement américain importé en
France comme dans le reste de l’Europe au lendemain de la deuxième guerre
mondiale. Or voici que nous le découvrons vieux de près de deux mille ans et
hantant depuis un millénaire l’imagination des petits et des grands. Nicolas, évêque de
Myre en Turquie est né vers 250 et mort au lendemain du concile de Nicée vers
325. Ce n’est pas un saint mineur, mais un des saints les plus vénérés du
calendrier, à l’image de saint Martin, saint François, saint André, saint
Jacques… Un des saints les plus universellement vénérés aussi car sa tradition
s’étend tout aussi bien à l’Église d’Orient qu’à l’Occident chrétien. Il faut rappeler
que ce qui a ralenti l’adoption du christianisme dans l’Empire romain fut
surtout son caractère exclusif. Les Romains étaient essentiellement tolérants,
ils avaient ramené des cultes de tout le bassin méditerranéen et les avaient
juxtaposés dans leur Panthéon, se gardant par ailleurs bien d’imposer comme
conquérants leur culture et leur religion aux peuples conquis. Cette capacité
d’intégration complète leurs talents militaires et explique en grande partie
leur domination dans le monde antique. Quand le christianisme est adopté après
Constantin, il règne seul et évacue toutes les traditions païennes en leur
substituant toutefois toute une panoplie de saints aux aventures les plus
extraordinaires – aussi voir plus extraordinaires que la mythologie antique –
aventures qui intègrent les religions passées dans l’univers chrétien. Présent dès les premiers siècles, le culte de saint Nicolas se
développe vraiment à partir de 1087, date à laquelle, à l’occasion de la
croisade, ses restes sont ramenés d’Orient à Bari en Italie. Témoignent de
ce culte notamment une Vie de Saint Nicolas du poète normand WACE, vers 1150 et,
dans les débuts du théâtre médiéval, un Jeu de Saint Nicolas par BODEL, vers 1200. Il aura même au début du XIVème siècle
les honneurs de la Divine Comédie de Dante qui, au chant XX du Purgatoire, rappelle
la « largesse que Nicolas avait faite aux pucelles pour conserver à
honneur leur jeunesse ». Mais c’est comme pour la plupart des saints, la Légende dorée de
Jacques de Voragine qui, au XIIIème siècle, fixe les éléments majeurs de la
Légende. Saint Nicolas participe de l’image d’un Dieu bienfaiteur, de plus en
plus loin du Dieu inaccessible et vengeur de l’Ancien Testament. C’est ce qui domine dans sa légende
dont les différents éléments sont en outre attribués à un jeune homme, proche
de l’enfance. La Légende dorée de
Jacques de Voragine (XIIIème siècle) nous rapporte douze événements principaux de la vie de saint
Nicolas. [1] 1 Le
sauvetage de trois vierges vouées par leur père à la prostitution. Célébré dans toute l’Europe centrale jusqu’au XVIème siècle, comme saint patron des enfants notamment (mais on lui connaît d’autres attributions : les vierges, les prêteurs sur gage, les marins…), Nicolas voit son statut contesté par la Réforme, qui opère un sérieux coup de balai dans la tradition pour recentrer la religion chrétienne sur le rapport de l’homme à Dieu, sans ce fatras d’intermédiaires réels (clergé) ou imaginaires (saints). Pour la première fois, dans l’Allemagne protestante, on voit au XVIIème siècle la tentative de faire passer la fête des enfants du 6 décembre (saint Nicolas) à la fête de… l’enfant Jésus le 25. Le brave saint fait alors place au Kris Kindel ou De Hele Christ (Holy Christ) plus proche du cœur des protestants.
Mais saint Nicolas lui-même continue à être fêté, avant tout en Belgique, aux Pays Bas, en Alsace, en Lorraine et dans la Flandre française. Comment ? Tous les ans, dans la nuit précédant l'anniversaire de sa mort, le 6 décembre, saint Nicolas descend du ciel, entre par la cheminée pour apporter des friandises et des cadeaux aux enfants sages. Il porte une longue barbe blanche, une mitre et une crosse et un long manteau, souvent rouge. Il est accompagné du père Fouettard (appelé Ruprecht en Lorraine, Hans Trappen Alsace, Zwarte Piet aux Pays-Bas, Pelznickel en Allemagne). C'est l'opposé de saint Nicolas : horrible et menaçant, il tient une verge pour fouetter les enfants qui ont été méchants au cours de l’année écoulée. Pour assurer le passage de saint Nicolas, il faut donc avant tout être sage, mais aussi, au soir du 5 décembre, suspendre ses chaussettes à la cheminée sans oublier d’y joindre une assiette avec une carotte ou d’autres friandises pour le cheval ou l’âne.
Par la suite, saint Nicolas a traversé l'Atlantique avec les Hollandais et les Allemands. Son nom s'est américanisé en Santa Claus parfois abrégé, familièrement, en Santa. [2] Il est présent dans toutes les régions où abondent Hollandais et Allemands.
En 1823, un pasteur américain, Clement Moore, écrit un conte, A Visit from Saint Nicholas, qui contribue à rendre saint Nicolas populaire partout aux États-Unis. En 1863, dans le magazine Harper's Weekly, le dessinateur américain Thomas Nast lui donne l’aspect familier que nous lui connaissons aujourd'hui. Une réédition du conte de Moore en 1883 prend le titre de The Night Before Christmas, qui confirme le changement de date esquissé au XVIIème siècle : la fête des enfants déménage du 6 au 25, ou plutôt Noël devient avant tout la fête de l’Enfant Jésus et de tous les enfants… En devenant l'homme à tout faire de Noël, le saint se débarrasse de sa mitre et de sa crosse. En outre Moore l’imagine tiré par un traineau de huit petits rennes. Devenu un lutin rondouillard, Santa Claus a par la même occasion perdu son alter egovengeur, le Père Fouettard, et abandonné toute dimension de récompense ou de punition. Dans le monde moderne, c’est bien connu, tous les enfants sont sages !
Le commerce fera le reste. En 1930, et une nouvelle fois en 1950,
Coca-Cola utilise Santa Claus dans ses publicités, en lui donnant sa tonalité
de rouge, loin de celle du manteau de l’évêque. C’est à ce moment que Santa
Claus fait son apparition en France, sous le nom de Père Noël, traduction
littérale du nom utilisé par les Anglais, Father Christmas. Sous le masque du Père
Noël, Nicolas développe une carrière internationale de premier plan de grand bienfaiteur au
moment précis où la Croisade de la Consommation a besoin d’un apôtre !
L’image la plus courante de Saint Nicolas le présente avec à
ses pieds trois enfants dans un panier. Mais la Légende dorée ne
rapporte pas cet épisode essentiel ! D’où nous vient-il donc ? Une
légende concernant un voyageur sauvé par Nicolas du saloir de l’auberge où il
est descendu apparaît dans la Vie de Saint Nicolas de Wace (1150) et se retrouve à la fin
d’un sermon de saint Bonaventure au XIIIème siècle, en concernant cette fois
non plus un voyageur, mais deux étudiants. Par ailleurs, dans l’iconographie de
saint Nicolas on retrouvait souvent l’image du saint évêque avec à ses pieds la
tour où sont enfermés les trois soldats (épisode 6 de la Légende dorée). L’histoire des trois enfants et du
boucher étant devenue (par quel biais ?) célèbre au moment du
développement de son culte, on réinterpréta semble-t-il cette image des soldats
dans la tour présente dans de nombreux vitraux et bas-reliefs : les soldats
devinrent des écoliers, la tour un panier, le panier où le boucher... Un autre
épisode fut mis à contribution par un semblable détournement : dans
l’épisode des trois vierges, Nicolas fait passer de l’or subrepticement par la
fenêtre. C’est de ce détail qu’on aurait tiré son habitude de se glisser dans
les maisons par la cheminée… Conclusion : Ce n’est pas seulement le Père
Noël contemporain qui s’avère une image détournée de saint Nicolas, mais sa
propre image traditionnelle constitue elle aussi un détournement
de la légende.
Pour ceux qui ne croient mot de tout ceci, Anatole France a écrit
en 1909 un Miracle du grand Saint Nicolas [3] qui nous raconte… enfin !... le
destin des trois petits enfants et de leur illustre bienfaiteur. Âmes pieuses, s’abstenir ! Quant à la rumeur - persistante sur le WEB - que ni St Nicolas, ni le Père Noël n'existent, que ce sont les parents, etc. je n'ai qu'un mot à ajouter : il y a tant de rumeurs infondées sur internet ! Maltagliati
[1] La légende dorée : la légende de
saint Nicolas, par Jacques de Voragine (texte écrit au XIIIe siècle)
[2] Ne manquez
pas d’écouter 99 fois, avec Aymeric, Geoffrey, Aniel, Eliot et tant
d’autres : Santa where are you ? (http://christmas.supersimplelearning.com/songs/)
En plus, ils feront leurs premiers pas en anglais ! [3] Publié dans Les sept femmes de la Barbe-Bleue et autre contes merveilleux. On peut le lire en ligne à l’adresse http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Miracle_du_grand_saint_Nicolas |
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