Nous
nous sommes tant battus pour elle ! Fallait-il qu'il fût joli, ce petit
confetti posé au sud de la Martinique, passé à quatorze reprises des
mains des Français à celles des Anglais ! Havre méconnu de l'arc
antillais, Sainte-Lucie vous attend.
Seul l'écrivain Patrick Leigh Fermor pouvait oser comparer les « pitons
solitaires » de Sainte-Lucie (798 m et 743 m). au Cervin de ses
escapades de jeunesse (4 478 m !)... Mais il sera beaucoup pardonné à
cet affable vagabond, aussi séduit par la Mitteleuropa, qu'il traversa
à pied à la barbe des nazis, que par l'éternité caraïbe, foisonnement
chaleureux de cultures, de langages et de races. Sainte-Lucie, le temps
d'une escale, sut le charmer, île discrète en forme de goutte d'eau, la
dernière des Antilles à passer des mains des Français à celles des
Anglais ; et la plus française des Antilles britanniques.
« Bon Ju ! Es u émé najé ? » (« Bonjour ! Vous voulez vous baigner ?
»). Ce joyau des îles du Vent, posé à 40 kilomètres au sud de la
Martinique, membre du Commonwealth et indépendant depuis 1979, ne
ressemble à aucun autre. Certes, on y parle anglais, mais surtout le
kwéyòl, un patois français aux sonorités familières. La religion
catholique y est largement prédominante, et tous les sites ont conservé
leurs consonances françaises. En fait, les liens entre Sainte-Lucie et
la France sont si nombreux qu'il est amusant de les débusquer au fil de
l'histoire ou de la géographie. Ainsi de la petite capitale de l'île,
Castries, du nom du maréchal de Castries, Secrétaire d'Etat à la Marine
de Louis XVI, fondée au XVIIIe siècle par les Français, et maintes fois
détruite par des incendies ravageurs. Ainsi de Paix Bouche, au nord-est
de l'île, où serait née en juin 1763 - les Saint-Luciens n'en démordent
pas - Joséphine Tascher de La Pagerie, future épouse de Napoléon,
déclarée plus tard par sa famille née à la Martinique. Et François Le
Clerc, dit Jambe de Bois, un pirate normand qui lançait au XVIe siècle
ses raids contre les galions espagnols depuis Pigeon Island... Et puis,
ce glorieux inconnu, Jean-Baptiste Bideau, mulâtre français qui sauva
la vie de Simon Bolivar en 1815 ! Et encore tous ces lieux réjouissants
- Moule à Chique, Choiseul, l'Anse l'Ivrogne, La Sorcière... - qui font
que, même anglophone, Sainte-Lucie ne nous est jamais tout à fait
étrangère.
400 à 500 paquebots de
croisière accostent à Castries chaque année
Castries - l'un des rares ports naturels en eau profonde des Antilles -
accueille plus d'un tiers des 165 000 habitants de Sainte-Lucie, mais
aussi 400 à 500 paquebots de croisière chaque année, aux proportions
démesurées comparés aux petits immeubles du centre-ville, écrasés de
chaleur. Un marché assoupi, un square portant le nom du prix Nobel de
littérature saint-lucien (Derek Walcott), un palais du gouverneur d'où
l'on devine au loin la pâle silhouette de la Martinique : la capitale
manque un peu d'intérêt, et c'est plus au nord, à partir de la plage de
la Vigie, que se situent beaucoup d'hôtels, de résidences luxueuses
ainsi que le réputé St Lucia Golf &Country Club. A Gros Islet,
chaque vendredi soir, a lieu le fameux « Jump up », une fête de rue
toujours très animée et arrosée, en décibels comme en bière ou en
rhum... A Pigeon Island, promontoire rocheux stratégique devenu
presqu'île, on prendra tout son temps avec l'un des excellents guides
du National Park. Les époustouflantes vues sur la baie et les très
beaux arbres - tamarins, gommiers, flamboyants... - de ce site,
toujours jonché de petits débris de porcelaine anglaise bleu et blanc,
aideront à faire passer le récit de l'un des épisodes les plus cuisants
de notre histoire navale locale (la bataille des Saintes) !
Cap au sud, vers Soufrière, l'une des plus belles baies de l'île. De
part et d'autre de l'unique route tout en lacets serrés et pentus, les
maisons au-delà de Marigot Bay - où dorment les yachts des
milliardaires - se font plus rares pour disparaître tout à fait,
remplacées par une jungle tropicale ébouriffante - caroubiers, gaïacs,
palmiers, fougères arborescentes, bananiers... - surplombée de temps à
autre par le toupet d'un gommier géant ou un châtaignier séculaire.
Ici, au détour d'un virage, un marchand de racines de yam exhibant un
inoffensif boa constricteur attend les touristes. Plus bas,
Anse-la-Raye et Canaries, pittoresques villages de pêcheurs, forment
deux échancœures colorées sur le tracé d'une côte très escarpée, ourlée
du bleu profond de la mer caraïbe. L'île n'a pas connu d'éruption
volcanique depuis le XVIIIe siècle. Pourtant, du côté de Soufrière,
fumerolles, boues en ébullition et tenaces odeurs d'œuf pourri sont
bien là pour attester que les volcans saint-luciens ne sont
qu'assoupis. Devenues une attraction touristique facile d'accès (on
parle ici de l'unique volcan « drive-in » au monde), ces sources
sulfureuses sont proches du Diamond Botanical Garden, éden éclatant
dédié aux poinsettias, aux orchidées et aux hibiscus ; dès 1785, Louis
XVI y fit bâtir sur ses deniers des thermes afin d'y requinquer ses
soldats affaiblis par le climat émollient.
Le « vol de Superman »,
une fabuleuse plongée dérivante près des Pitons
Du côté du Petit et du Gros Piton - site unique classé au patrimoine
mondial de l'Unesco - se cache une poignée d'hôtels étonnants (Jade
Mountain, Anse Chastanet, Ladera) prônant les chambres « à trois murs »
largement ouvertes sur la nature. On s'y endort face aux étoiles, sans
radio ni télé, seulement bercé par le chant des grillons, des
cabris-bois et des minuscules grenouilles arboricoles. Au matin, en
l'espace de quelques minutes, le lever du soleil vire du violet à
l'ambre, et de l'ambre à l'écarlate. Un vent d'aurore remue les
feuilles du labyrinthe vert. Puis, les nuages s'immobilisent et la mer
se vide de toutes ses couleurs pour ne conserver qu'un bleu sans
mélange : la journée va être chaude. C'est dans ce sud exubérant que
l'on profitera au mieux des trésors naturels de Sainte-Lucie. De jolies
plages aux eaux parfaitement limpides (anse des Pitons, anse Chastanet)
; les plus belles plongées de l'île (par exemple « le vol de Superman
», fabuleuse plongée dérivante le long d'un tombant de 50 mètres) ; des
plantations oubliées abritant de petites guest houses ; des chemins de
randonnée exceptionnels ; et, toujours et encore, ces cônes jumeaux
hypnotiques, solennels, nimbés de « soleil liquide » lorsque
dégringolent les pluies tropicales, sommets aigus de deux immenses
montagnes sous-marines plongeant droit vers les abysses ; presque des
îles, pathétiques après tant d'efforts pour s'élever...
Plus rares sont les visiteurs qui s'aventurent au-delà, vers Choiseul,
Laborie, Vieux Fort, et s'en vont à la découverte de la côte orientale,
encore plus sauvage et plus sèche car soumise aux vents de
l'Atlantique. Havre paisible pour Anglais à la retraite et
croisiéristes américains, Sainte-Lucie est encore loin d'avoir exploité
tout son potentiel touristique. Les liaisons avec les autres îles n'y
sont pas si faciles, et le niveau de vie y est trois fois plus faible
qu'en Martinique. Pourtant, il est une catégorie de visiteurs qui
plébiscite Sainte-Lucie sans retenue : les couples en voyage de noces
(qui l'ont même désignée première destination au monde sur le site
internet bien connu Tripadvisor) ! Sous les vents alizés, le romantisme
se porte bien.