Mexique : Chichen Itza, l'équinoxe du soleil mayaIls sont venus, ils sont tous là, des
milliers, dix, vingt, trente mille, plus qui sait, massés au pied de la grande
pyramide de Chichen Itza. L'ombre portée de l'escalier dessine sur les flancs
de l'imposant édifice l'illusion du serpent, terminée par une tête. Il est un peu plus de 16 heures. Dans dix minutes, le cycle sera achevé. L'ombre complétée marquera le retour de l'équinoxe de printemps. Les fidèles en aube blanche psalmodient “Kukulcan, Kukulcan.” Certains brandissent des encensoirs, d'autres se roulent par terre dans l'allée centrale du jeu de pelote voisin en arrachant leurs vêtements. Ils sont arrivés de Goa, Sedona, Bali ou Roswell, et font le tour du monde des cérémonies et des fêtes New Age. Dans leurs rangs, Suédois, Hollandais, Américains, Français, Brésiliens aussi, toujours plus nombreux. Sans oublier les Mexicains eux-mêmes, et les touristes dont la foule grossit les rangs des fidèles comme au temps où d'autres adeptes rendaient hommage au serpent emplumé. Ce temps-là est celui de notre onzième siècle. À l'époque, Chichen Itza est la plus puissante des cités-Etats du Yucatan. Des cités à la fois indépendantes et fédérées, reliées entre elles par de larges chaussées. Longtemps occupée par les Mayas Itzaes, Chichen Itza (“la bouche des Itzaes”) a été absorbée par les farouches Toltèques. Venus du centre du Mexique, les conquérants ont apporté avec eux le culte de Kukulcan, le dieu-serpent, et nombre d'éléments culturels. Ils ont bâti au centre de la cité, vaste de plus de 15 km2, une pyramide majestueuse que les Espagnols nommeront “El Castillo”. Très peuplée,
la ville est le centre névralgique d'une organisation sociale autour de
laquelle gravite tout un peuple d'artisans et de paysans, dans un univers
chargé de croyances rigoureusement mises en scène par le clergé. Les temples y
forment un triangle aligné avec les étoiles, illustration des parfaites
connaissances astronomiques d'une élite lettrée, formée de prêtres, de savants,
de mathématiciens et d'astronomes. Ces illusions, sans doute, sont utilisées
comme moyen de contrôle sur le peuple lors d'éclipses, ou annuellement, à
l'occasion de l'équinoxe de printemps, chaque 21 mars, ou de l'automne, en
septembre. Témoin majeur
d'une remarquable maîtrise architecturale, le Castillo, un édifice de quatre
côtés, haut de 30 mètres et couronné par un temple sommital, symbolise le calendrier
maya en sa partie supérieure, laquelle compte 365 marches, 52 panneaux (soit un
par année du cycle maya) et 18 terrasses censées représenter les 18 mois de
l'année religieuse. La pyramide se dresse au centre d'une plaine herbeuse, non
loin des colonnes du temple des guerriers où trône encore la statue de Chac Mool. La
divinité porte sur son ventre un plateau sur lequel les prêtres déposaient les
coeurs encore palpitants des sacrifiés. Sans doute a-t-on craint alentour les razzias de prisonniers destinés à ces sacrifices, lors des guerres rituelles. À l'époque, les peuples méso-américains pratiquent tous peu ou prou l'immolation des prisonniers au nom d'une cosmovision qui fait d'eux des hommes de maïs. Et, tout comme la pluie donne vie à la plante sacrée, le sang offert doit irriguer la terre. À l'auto-sacrifice, où le prêtre fait couler de sa langue ou de son pénis l'offrande destinée aux dieux, succède bien vite la mise à mort des prisonniers. Une façon, comme l'a si justement écrit l'historien Jacques Soustelle, de fabriquer de la vie avec la mort.
Mais au XIIe
siècle, une sécheresse drastique ravage la contrée. Il ne pleut pas, en dépit
des sacrifices toujours plus nombreux qu'exigent les prêtres. L'armée est
sommée de fournir de plus en plus de prisonniers. Sans doute à l'issue de
famines terribles, le peuple finit par se rebeller contre ces élites qui ne
parviennent plus à créer l'illusion du sacré. Chichen Itza chute. Mais l'écho de sa puissance demeure : plusieurs
siècles après son abandon des célébrations religieuses s'y déroulent encore.
Puis vient l'oubli, avant que des explorateurs initient la renaissance de la
ville, à la fin du XIXe siècle. Patrick Bard et Marie-Berthe Ferrer |
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