A
Prague,
l'Enfant Jésus bat le Père Noël, agent étranger
Si
vous vous déplacez ces jours-ci dans la capitale tchèque, vous serez
peut-être
surpris de ne pas trouver dans les magasins la capuche rouge du Père
Noël.
Santa
Claus l'Américain n'a pas la cote à Prague.
Dans
la guerre de tranchées qu'il mène contre « l'Enfant Jésus »,
variante
locale du livreur des cadeaux de Noël aux enfants, c'est le second qui
a
emporté la dernière bataille.
Pourquoi
les commerçants tchèques désireux d'attirer le chaland de Noël
n'affichent pas
l'image du vainqueur ? Parce qu'à la différence du vieux barbu,
l'Enfant
Jésus livreur des cadeaux est invisible. Invisible et même, paraît-il,
complètement nu ! Les pères mettent en garde leur progéniture, le
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décembre au soir :
« N'ouvrez pas la porte de votre
chambre pendant que l'Enfant Jésus vient y déposer ses cadeaux ;
si vous
ne le voyiez que d'un coin de l'œil il prendrait peur, s'envolerait et…
plus de
cadeaux ! »
Personne
ne sait à quoi cet être mystérieux ressemble.
Après
la chute du communisme, au début des années 1990, les chaînes
commerciales,
prêtes à profiter de la vague de fascination des Tchèques pour
l'Occident,
notamment pour les Etats-Unis, déployaient tous les ans, avant Noël,
des
campagnes essayant d'imposer dans les têtes des consommateurs locaux un
nouveau
personnage : Santa Claus.
Des
films hollywoodiens pour enfants mettant en scène le
gaillard robuste aux couleurs de Coca-Cola
apportaient leur concours discret. Au bout de plusieurs années, les
commerciaux
y ont renoncé, constatant l'échec de leur message : les familles
tchèques
sont restées fermées au bouffon vêtu de fourrure, s'obstinant, le jour
de Noël,
à inviter chez eux l'Enfant Jésus, le secret.
« Papy
Hiver », grand frère de l'Est, renvoyé en Sibérie
Certains
étaient allés jusqu'à s'insurger publiquement contre ces tentatives
d'imposer à
leurs compatriotes un héros, Santa Claus, aussi étranger aux coutumes
locales.
Une réminiscence jouait beaucoup en sa défaveur : le Père Noël
occidental
ressemble comme deux gouttes d'eau au « Papy Hiver » russe,
que l'on
avait déjà essayé d'importer dans le pays, avec les moyens de
propagande de
l'Etat, après l'inféodation de la Tchécoslovaquie à Moscou, en 1948.
En
décembre 1952, s'adressant aux enfants dans un discours radiodiffusé de
Noël,
Antonin Zapotocky, le Premier ministre communiste de l'époque, avait
officiellement décrété la fin du règne de l'Enfant Jésus durant ces
fêtes :
« Les temps ont changé. Les
enfants des travailleurs ne naissent plus dans des étables. De
nombreuses
transformations sont intervenues. L'Enfant Jésus a grandi et vieilli,
il lui a
poussé une barbe et lui-même s'est mué en Papy Hiver. Il ne marche plus
nu et
déguenillé, il est bien vêtu de chapeau et de manteau de fourrure. Ni
nos
travailleurs ni leurs enfants ne sont plus nus ou vêtus de
loques. »
Le
Père Noël russe, arpentant les rues des villes tchèques dans les années
1950,
s'était fait bouder par la population, entrée sur ce champ d'intérêt
précis en
résistance passive contre le communisme. Quarante années plus tard,
elle a
refait le geste en tournant le dos à Santa Claus, symbole de la
consommation
capitaliste, tout en accélérant le volume de ses dépenses de la fin de
l'année…
au nom du pauvre Enfant Jésus.
Par Martin
Danes
Journaliste et
écrivain tchèque
Source
14/12/09
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