Le temps passe,
inlassablement il passe et nous grandit, parfois nous ramène à
l’enfance, de cette enfance où plus que le temps passe, plus il est
ressenti comme l’âge d’or de l’existence, comme si en vieillissant nous
recherchions l’innocence de nos années d’enfance.
Noël a cette particularité de nous replonger dans les souvenirs
heureux, de saisons où nous ouvrions les bras et aspirions à croître,
sans doute trop vite, entrer promptement dans un monde, qui nous
déconstruira et oblitéra bien de rêves, trop de rêves
accidentés, bien trop de nos rêves seront détruits par ce temps
sénilisant.
Et je me souviens qu’enfant aux approchants de Noël, le temps
fraîchissait, il fraîchissait tant bien qu’au serein notre mère nous
couvrait l’épaule d’une petite laine afin que n’attrapions pas « frette
».
Je la revois ajustant sur mon dos ce petit gilet laine, avec
toute l’affection qu’une mère puisse avoir pour son enfant et je
l’admirais lorsqu’elle discutait, debout avec sa voisine depuis notre
jardin, elle était belle comme seule une mère peut l’être.
La lune avait changé de couleur et de forme, le vent faisait chanter
les grands arbres, glousser les haies d’hibiscus et frétiller l’herbe
haute, qui se courbait doucement pour se redresser aussitôt.
La lumière jaunissait dans le soir de décembre et j’étais assis
avec ma sœur, à même le sol du balcon, jouant au jeu de l’oie ou
aux petits chevaux ou à contempler le ciel et chercher l’étoile du
berger.
La lumière de la lune dessinait sur le sol des motifs improbables de
jeux d’ombre indécis. Le soir se préservait tant qu’il le pouvait et
durait plus que d’habitude, bien plus que d’habitude, nous avions
la perception d’une douce noirceur dans les nuits de décembre
remplies de tendresse et d’amour.
Dans notre salon, l’arbre de Noël était dressé, une branche de
filao que mon père avait ramené d’une commune du nord, avec maman
nous avions accroché les boules de Noël, l’étoile au faite du
filao tant bien que mal, car l’arbre s’y prêtait mal à cet exercice,
puis nous l’avons festonné avec les guirlandes électriques et allumées
pour contempler notre arbre de Noël, le plus beau de la résidence, nos
voisins embourgeoisés préféraient le sapin artificiel.
C’était toute une joie de contempler le sapin de Noël, nous
restions à ses côtés, nous hypnotisant des clignotements de la
guirlande lumineuse, puis notre mère nous chassait, nous reprochant
d’abîmer nos yeux ou nous offrait ce chocolat de Noël, fortement
chocolaté, fait à base de lait concentrée, de « caco dou » râpé,
épaissi avec la poudre d’une crème aux œufs, parfumé avec
un zeste de citron vert, de la muscade et de la cannelle et d’une cosse
de vanille, fendue en son milieu afin de libérer les milliers de
minuscules grains odorant ou parfumant sous la langue.
Le chocolat du soir de Noël, nous détournait immanquablement du
berceau dans lequel le petit Jésus se reposait, un berceau accroché à
un rameau de notre filao de Noël, enfant nous conversions à
longueur du temps de Noël avec le petit Jésus, mais je ne sais
plus à quoi j’adressais mes prières.
A l’apprêt de Noël, la maison ne recelait pas encore des odeurs sucrées
du punch coco, de l’alexandra ou du sirop de groseille, nous n’étions
pas encore là, la maison respirait la térébenthine.
Lorsque mon père partait à la recherche de notre sapin, il
rapportait aussi des branches d’eucalyptus et d’acacias, d’où ma mère
extrayait un sirop qu’elle nous administrait en prévision de la toux.
En cette période de Noël, ma mère redoublait d’attention, nous
buvions les sirops qu’elle confectionnait, elle veillait à nous
masser ou à nous frictionner le corps avec des baumes
médicamenteux, elle prévenait les tracas et les maladies que
cette période de l’année charrie à cause du rafraîchissement du temps.
Aujourd’hui, je subodore que Noël était une période funeste ou
fatale aux enfants des Antilles, une mauvaise grippe les charroyait de
l’autre bord.
La maison odorait la résine, elle sentait la sève de conifère, cette
respiration qui vous libérait les bronches et nettoyait le nez. Les
repas subrepticement changeait eux aussi, nos habitudes
alimentaires convenaient à la saison et s’agréaient à l’humeur du
temps, moins de poissons, plus de viande rouge, des abats, le foie de
veau, ma mère cuisinait, nous faisait des crèmes de farine de maïs, du
chocolat épicé de muscade et de cannelle, parfois nous avions droit à
la tisane de citronnelle, notre mère nous fortifiait le corps et nous
racontait dans les douces nuits de l’Avent, l’histoire de la
naissance de jésus.
Nous l’écoutions religieusement, nos cœurs liés dans une même
affection, dans cette émotion ressentie et conservée toute une vie :
nous assis autour du sapin ou la tête posée sur la cuisse de notre
mère, elle nous lisait le livre de Noël.
C’était une magie de l’enfance qui se renouvelait et nous attendions
avec le même entrain et les mêmes rêves chaque année.
Je me souviens que nos maîtres ou maîtresses d’école ne
s’attardaient pas sur Noël, ni ses mythes et légendes, mais nous avions
les livres abondamment illustrés qui nous ouvrait aux Noëls
d’ailleurs, des paysages neigeux, d’une blancheur immaculée, d’un
bonhomme à la barbe blanche, dont l’embonpoint attirait nos
sympathies et notre affection.
Nous nous prenions à rêver de ce Noël blanc, nous espérions courir dans
la neige toucher du doigt la magie de Noël, le nôtre étant rapporté,
sans père Noël à la hotte chargée, sans traîneau tiré par des rennes,
enfant nous nous pénétrons d’un imaginaire autre, mais le rêve est une
inhérence propre à l’enfant, alors que l’esprit de Noël se répande sur
la terre.
Tony Mardaye