NOËL
DANS
LES PAYS ÉTRANGERS
ESPAGNE
Chez les peuples du Nord, l'idée de Noël
est
associée à celle de froid, de neige et de bise glaciale. Les enfants
s'y
représentent «le Bonhomme Noël» avec sa longue barbe blanche et ses
vêtements
tout couverts de givre clair et craquant.
Là-bas, au midi de l'Espagne, sur la
terre
andalouse, le soleil brille radieux, l'azur du ciel resplendit sans
tache et,
le vingt-cinq Décembre, le thermomètre marque ordinairement douze
degrés à
l'ombre et vingt-cinq au soleil.—Aussi le jour de la Natividad ou de la Navidad, la joie de
tous
devient bruyante et tapageuse. Pendant la nuit de Noël, la Noche buena (la bonne nuit), comme
l'appellent les
Espagnols, les rues retentissent de clameurs et des plus assourdissants
concerts.
Le temps
de Noël, en Espagne, commence avec l'Avent.
A Madrid, la veille
du premier dimanche de l'Avent, un fonctionnaire du tribunal
ecclésiastique
(Rota),
accompagné
des timbaliers et des trompettes des écuries royales, des alguazils et
d'un
nombreux cortège, tous en costumes des XVIIe et XVIIIe siècles,
parcourt à
cheval les principales rues de Madrid et lit le décret concernant la
proclamation de la Bula de la Santa Cruzada (la Bulle de la Sainte
Croisade).
Cette bulle octroyée d'abord par Jules II et renouvelée en 1849, Par
Pie IX
accorde à tous les Espagnols les mêmes Privilèges que ceux des
anciennes Bulles
des Croisades d'Urbain II et d'Innocent III.
On nous a raconté à Miranda de Ebro qu'à
l'époque de l'invasion des Maures, les paysans d'Espagne, au péril de
leur vie
portèrent des vivres aux troupes catholiques, obligées quelquefois de
se
réfugier dans des montagnes inaccessibles. On permit aux vaillants
défenseurs
de la foi et à leurs intrépides pourvoyeurs de faire gras les
Vendredis, pour
réparer leurs forces épuisées par d'incessantes fatigues. Le privilège
devint
un usage qui fut consacré par la Bulle
de la Sainte Croisade. Celle-ci permet aux Espagnols de faire gras
tous les
Vendredis de l'année, moyennant une légère aumône.
Noël est surtout la grande fête des pays
basques: en Guipuscoa, on dit las
Pascuas de la Natividad (les
Pâques de la Nativité).
On nous écrit de la République
Argentine, où
se sont implantées la langue et les coutumes espagnoles, qu'il est
d'usage de
se faire visite à l'occasion de Noël et de se souhaiter de felices Pascuas de
Navidad (d'heureuses
Pâques de Noël).
Pendant le temps que durent les fêtes de
Noël,
il est de coutume dans toute l'Espagne—villes et campagnes—de chanter
des airs
pastoraux appelés villancicos
(cantiques
de Noël), mesure six-huit, qui symbolisent les chants des pasteurs
célébrant la
naissance de l'Enfant-Jésus. Ces chants sont le plus ordinairement
accompagnés
de castagnettes et de Zambombas.
Cet instrument de musique (??) n'ayant pas d'équivalent en français,
nous nous
croyons obligé de le décrire.
La Zambomba,
ainsi appelée sans doute par harmonie imitative, est une sorte de
tambourin
champêtre qui serait venu des Maures: on le retrouve encore en Afrique.
C'est
un vase de terre cuite ayant à peu près la forme d'un sablier. Une des
extrémités
recouverte d'une peau épaisse, desséchée et soigneusement tendue,
présente une
ouverture au centre. Dans cette ouverture passe une baguette d'environ
cinquante centimètres, plantée perpendiculairement et liée à la peau.
Pour
faire mugirl'instrument,
il
suffit de communiquer à la baguette un énergique mouvement de
va-et-vient.
Dans les faubourgs, tous ont leur Zambomba: enfants,
parents,
vieillards. A tous les coins de rue, les marchands en vendent; il y en
a de
toutes sortes; quelques-unes même sont vraiment luxueuses: la boîte
sonore est
ornée de peintures et la baguette est en bois rare et précieux.
Heureusement l'usage de la Zambomba est limité aux fêtes de
Noël: c'est
suffisant.
Quelque bruyante que soit la fête de
Noël en
Espagne, elle l'est encore moins que le Samedi Saint. Ce jour-là, vers
onze
heures du matin, quand les cloches revenues
de Rome commençent
à sonner
le Gloria in excelsis,
il
se fait, pendant une demi-heure, un bruit des plus étranges. Les
cuisinières
frappent, à tour de bras, sur leur casserole la plus sonore, pendant
que dans
la rue, les enfants armés de maillets frappent sur les portes des
maisons,
comme s'ils voulaient les défoncer. Un tel charivari, s'il devait
durer,
finirait par rendre fou.
A Valladolid et à Salamanque, les jeunes
filles dansent autour des statues de la Madone en chantant des villancicos qui ne contiennent souvent
que des
pensées inachevées, comme dans beaucoup de mélodies populaires. Nous ne
citerons que ces deux couplets:
Ardia la
razza,
Y la razza
ardia,
Y no se
quemaba;
La Virgen
Maria!
Le buisson
brûlait.
Et brûlait le
buisson.
Et ne se
brûlait pas;
La Vierge
Marie!
San José era
carpiniero,
Y la Virgen
costurera,
El Niño labra
la cruz,
Porque ha de
morir en ella.
Saint Joseph
était charpentier.
Et la Vierge
couturière.
L'enfant
travaille le bois de la croix.
Parce qu'en
elle Il doit mourir.
La ville la plus intéressante au point
de vue des fêtes religieuses et populaires est assurément Séville.
C'est
peut-être dans ce sens qu'il faut entendre ce proverbe si connu dans
toute
l'Espagne:
Quien no ha visto Sevilla
No ha visto
maravilla.
Qui n'a vu
Séville
N'a vu
merveille.
Ce n'est point la tour de la Giralda si
remarquable par la proportion harmonieuse de ses lignes, ce ne sont pas
ses
autres monuments, ni ses trésors d'art, ni les beaux tableaux de
Murillo qui
ont fait surnommer Séville «l'Enchanteresse», la
Encantadora, ce sont les agréments de la vie, les fêtes, le
mouvement
perpétuel de gaieté qui anime sa population.
Ses grandes processions de la Semaine
Sainte (pasos)
sont célèbres dans le monde entier.
La fête de Noël (la Natividad) y
est
particulièrement populaire: elle se passe, en grande partie, en plein
air; le
marché est plus animé que jamais entre le pont de Tiana et la plaza de
Toros.
«Voici d'abord le pavero (marchand de dindons, pavos en espagnol). C'est une
industrie qui
ne s'exerce guère qu'aux approches de Noël. Quelques jours avant la
fête, il
fait son apparition dans les rues, poussant devant lui son troupeau de
volatiles. Ils vont se dandinant, ébouriffant leurs plumes-moirées,
secouant
leur jabot aux teintes sanguinolentes, attirant par leurs gloussements
les
ménagères prévoyantes... Le pavero crie sa marchandise et la
vend avec
toute la fierté de sa race».
A Barcelone, la ville aux larges et
riantes
avenues, le vingt et un Décembre, fête de Saint-Thomas, il y a grande
affluence
de paysans qui viennent exposer et vendre despavos (dindons), sur la Rambla de Cataluña,
pour les fêtes de Noël.
La loterie de Noël, à Séville, donne
aussi à
cette fête un attrait et une animation extraordinaires: on peut juger
de son
importance par la valeur du gros lot qui dépasse ordinairement deux
millions de
francs. Le prix de chaque billet est de cinq cents francs, mais il peut
se
diviser en coupures et fractions qui vont jusqu'aux sommes les plus
petites.
Après le tirage, le gain se partage au
prorata
de la valeur des billets, coupures et fractions.
Les Espagnols s'intéressent tous à cette
grande oeuvre quasi nationale et même ceux qui vivent à l'étranger ne
manquent
pas d'écrire à Séville pour se procurer des billets.
Quelques jours avant Noël, on a coutume,
dans
bon nombre de familles où il y a des enfants, d'édifier des
représentations de
l'Adoration de l'Enfant Jésus par les Bergers et les Rois Mages. Des
paysages
en miniature se peuplent de personnages et d'animaux sans grand souci
de la
couleur locale, ni de la vraisemblance. On appelle ces sortes de
Crèches des nacimientos (naissances).
Dans certaines familles, on s'y applique
consciencieusement à l'avance pour combiner des effets pittoresques que
les
amis viendront voir jusqu'aux «Rois» que ces éphémères constructions ne
dépassent jamais.—Cette coutume existe à peu près dans toute l'Espagne.
Dans les provinces du Midi, après avoir
admiré
dévotement le divin Enfant, la Vierge Marie, Saint Joseph, les Bergers,
les
Rois Mages, l'âne et le boeuf traditionnels, on passe une partie de la
nuit à
se divertir et surtout à danser le fandango.
Cette danse préférée des Espagnols est sur un rythme entraînant, à
trois temps,
avec accompagnement de guitare et de castagnettes. Son mouvement
rapide,
l'agitation des bras, les trépidations des danseurs, lui donnent un
caractère
d'animation plein d'originalité. Dans l'intervalle des danses, on boit
de l'aguardiente (eau-de-vie)
et du manzanilla (petit vin blanc sec).
Cette réunion
toute intime de parents et d'amis se termine par une danse spéciale à
laquelle
tout le monde prend part.
«Tous les assistants sont assis en
cercle. Une
jeune fille alerte s'élance d'un bond au milieu et parcourt rapidement
le rond,
toujours dansant. Puis elle s'arrête devant un des spectateurs qui est
tenu de
la remplacer et d'exécuter un pas brillant, quels que soient son âge,
sa
situation, sa gravité. Celui-ci s'arrête ensuite devant une femme,
jeune ou
vieille, qui lui succède dans ses exercices chorégraphiques, et ainsi
de suite
jusqu'à épuisement des danseurs».
Dans les provinces du Nord, aux pays
basques,
par exemple, on trouve beaucoup moins ces manifestations bruyantes: une
lenteur
mesurée, une tonalité grave règnent dans les actes et les discours.
Après la
Messe de minuit a lieu le réveillon qui se compose du besugo, poisson
fréquent dans
la contrée, de l'oie grasse et du dessert composé de nougats,
d'alicante et de
jijun.
Dans le Midi, la tourte de Noël , la morue frite, les
châtaignes, la
dinde truffée font les frais du repas qu'arrosent à pleins verres le Valdepeñas et le Manzanilla.
Quelquefois la
guitare et la Zambomba accompagnent le Tango, le Boléro et la Sevillana (danses espagnoles).
Les gâteaux de Noël préférés par les
Espagnols
sont les « Turones ». Chaque année, on en
vend des
quantités considérables, à Barcelone, sur le paseo
de la Industria(la promenade de l'Industrie).
Les Tourons ou massepains sont d'énormes
gâteaux au miel, aux amandes pilées, aux patates douces, sur lesquels
l'imagination et la grâce espagnoles se donnent libre cours pour les
ornementations. Ils ont généralement la forme de serpents enroulés et
sont
couverts d'arabesques en sucre multicolores, de fondants et de fruits
confits
et glacés. Ils sont merveilleux à voir et délicieux à manger. Il y a,
comme
volume, depuis la petite couleuvre, jusqu'aux plus immenses boas. Toute
la
famille espagnole a son Touron pour Noël et les familles riches s'en
offrent
qui coûtent des prix considérables.
Le matin de Noël, avant la grand'messe,
les
villageois basques dansent aussi le fandango,
au son des guitares et des castagnettes, mais avec un rythme bien
différent des
peuples du Midi. Les danseurs arrondissent leurs bras en ailes de
moulins, se
font vis-à-vis en des gestes câlins, sans que jamais l'un vienne à
s'approcher
de l'autre. Ils demeurent silencieux et compassés. Pénétrés de la
dignité de
leurs rôles, ils semblent accomplir quelque sacerdoce. Sur un chapiteau
renversé, un hidalgo loqueteux, venu on ne sait d'où, chante la triste Malageña, mélopée
plaintive,
venue du temps des Maures, pendant qu'un rayon de soleil vient éclairer
sa
pauvre mine de misère.
Noël est avant tout une fête religieuse
chez
le peuple espagnol, fidèle gardien des naïves et touchantes traditions
de ses
pères.
Sans
doute, il y a bien parfois quelques manifestations bruyantes dans
les églises, surtout dans les quartiers pauvres et ouvriers. Des
castagnettes,
des tambours de basque, des Zambombas accompagnent des villancicos (Noëls) à l'allure un peu
trop alerte:
certains instruments
assez singuliers imitent le chant des
oiseaux,
surtout le cri éclatant du coq. A l'offertoire et à la sortie, l'orgue
lui-même, oublieux de sa gravité ordinaire, joue des variations sur des
thèmes
empruntés aux airs les plus populaires. Au milieu de pareils concerts,
les
enfants de choeur sautillent bien un peu, la foule est agitée d'un
balancement
qui marque un peu trop la mesure, mais l'ensemble reste toujours
sérieux et digne
du saint lieu.
A Séville, le jour de Noël, on danse
encore
dans les églises, mais tout est prévu et réglé d'avance et
l'assistance, témoin
de ces exercices qui font partie intégrante du cérémonial de la fête,
se livre
à la joie, sans perdre son attitude calme et recueillie.
Jusqu'à la fin du dix-huitième siècle, à
Valladolid, on représentait, au milieu des églises, les Mystères de la Nativité. Les
personnages qui
étaient en scène, portaient des masques grotesques et des costumes d'un
goût
douteux. Ils étaient accompagnés par tous les instruments populaires:
castagnettes, tambours de basque, guitares, violons. Dans les
entr'actes,
l'organiste jouait seul: il choisissait dans son répertoire les
morceaux les
plus entraînants. Tout à coup les femmes et les jeunes filles entraient
en
danse, portant à la main des cierges allumés. Toute cette festivité
était
entremêlée de villanelles ou chansons rustiques.
Celui qui avait
le mieux chanté était salué par les fidèles du beau nom de Victor.
Si nous pénétrons, le jour de Noël, dans
une
des églises du Midi de l'Espagne, nous y trouverons une foule qui s'y
presse
pour sanctifier cette solennité. La jeune andalouse en habit de soie
noire,
avec mantille, agenouillée sur la dalle nue [11],
fixe du regard la Madone vêtue de ses plus beaux atours de damas et de
dentelles et couronnée d'un riche diadème aux perles étincelantes. Elle
est
droite, immobile, comme figée sur place, adressant une fervente prière
à la
Vierge qui ne peut manquer de l'exaucer, en ce jour de l'anniversaire
de la
naissance de son fils. Telles les orantes, sculptées dans le marbre ou
la
pierre, qu'on admire dans les catacombes de Rome, ou auprès des
tombeaux du Campo
santo de Gênes et
des autres villes
d'Italie.
Dans le
Nord, la jeune basquaise va également
se prosterner, le jour de Noël, dans l'église de Lezo, près de
Saint-Sébastien [12].
Ce n'est plus la Vierge Marie qu'elle implore, c'est devant l'image du
Christ
vénéré qu'elle reste des heures entières, plongée dans une sorte
d'extase.
Comme elle contemple, avec émotion et avec larmes, son Dieu à l'aspect
saisissant, aux membres alanguis, à la chevelure d'ébène, au regard
tendre et
compatissant qui semble la fixer et la comprendre. Elle lui confie tous
les
secrets de son âme ardente: ses peines, ses illusions, ses espérances.
C'est à
Lui qu'elle vient demander ce que chante la vieille complainte:
Santo Cristo
de Lezo.
Tres cosas te
pido:
Salud, dinero
Y buen marido.
Saint Christ
de Lezo,
Je te demande
trois choses:
Le salut, la
fortune
Et un bon
mari.
En parcourant ces silencieuses campagnes
de la
province de Guipuscoa, il nous est souvent revenu à l'esprit une belle
page de
Pierre Loti, sur la Messe au pays basque, et surtout ces lignes
finales: «Faire
les mêmes choses que depuis des âges sans nombre ont faites les
ancêtres, et
redire aveuglément les mêmes paroles de foi, est une suprême sagesse,
une
suprême force. Pour tous ces croyants qui chantaient là, il se
dégageait de ce
cérémonial, immuable de la Messe une sorte de paix, une confuse mais
douce
résignation aux anéantissements prochains. Vivants de l'heure présente,
ils
perdaient un peu de leur personnalité éphémère pour se rattacher mieux
aux
morts couchés sous les dalles et les continuer plus exactement, ne
former avec
eux et leur descendance à venir, qu'un de ces ensembles résistants et
de durée
presque indéfinie qu'on appelle une race.»
Il nous a été donné de voir des familles
entières agenouillées devant le Christ
miraculeux de la
belle
cathédrale de Burgos ou devant la Virgen
del Pilar (la
Vierge du
Pilier) de l'immense basilique de Saragosse. Rien, dans nos souvenirs
de
voyages, ne nous a donné une idée plus haute de la foi qui opère des
merveilles, et de l'ardente charité d'un peuple au coeur vaillant et à
la
religion profonde et vraie.
Il nous reste à parler de la Messe de
Noël en
Espagne, Messe de minuit et Messe du jour.
La Messe de minuit s'appelle Misa del Gallo (la Messe du coq ou du
chant du coq):
elle n'offre rien de bien particulier.
Elle se
célèbre dans la plupart des églises de
Madrid. A la fin, les fidèles entonnent les villancicos en
s'accompagnant d'instruments de
toute sorte: il se fait alors un tapage qui surprend et étonne les
étrangers.
Des bandes bruyantes d'hommes du peuple parcourent en chantant les rues
les
plus fréquentées. Depuis minuit, les cafés, surtout ceux de la Puerta del Sol [13],
se remplissent d'une foule animée. La visite du marché aux fruits de la plazza Mayor est
intéressante, surtout le soir de
Noël: il y a quantité de boutiques brillamment illuminées.
Le jour de Noël, les monastères ouvrent
leurs
chapelles ordinairement fermées au public et la Messe de minuit se
célèbre avec
une grande solennité. Chaque fidèle y apporte, soigneusement enveloppé
dans son
manteau, son cierge bizarrement enroulé en forme de serpent. Dans le
rayonnement des lumières, apparaît, au milieu de la nef principale et
jusque
dans le sanctuaire, une foule recueillie à la foi ardente et aux élans
d'une
piété expansive. C'est une suite de fiévreux signes de croix, de
baisements des
dalles, de coups frappés sur la poitrine, de regards enflammés et
suppliants
allant de l'autel à la Madone et de la Madone à l'autel.
Dans l'église, au dôme élevé, du célèbre
couvent de Loyola, bâti sur l'emplacement de la maison où naquit Saint
Ignace,
fondateur de l'Ordre des Jésuites—à la Messe de minuit—l'orgue joue,
après
l'élévation, la Marche
royale avec
accompagnement de tambours de
basque et de castagnettes. Les Religieux, par suite d'un usage
séculaire,
célèbrent à la fois la gloire du Très-Haut et celle de leur Souverain[14].
M. Etienne Roze nous décrit, dans un
style
plein de charme et d'humour, une Messe de Noël à Madrid:
«Le jour de Noël, désirant assister à un
office pittoresque, je me rendis à la Grand'Messe de l'Hôpital Général.
C'était
là, m'avait-on dit, le refuge des vieilles traditions.
«... Autour de l'harmonium, des
Religieuses
étaient groupées. Je n'ai jamais entendu une Messe chantée sur un
rythme aussi
gai. Le célébrant tout allègre entonna le Kyrie sur quelques notes
vives et
alertes et le choeur lui répondit dans une attaque parfaite.
«Une vieille religieuse, toute ridée
sous sa
cornette blanche, battait la mesure avec décision: c'était un excellent
chef
d'orchestre.
«... Les voix étaient justes et fraîches
et
les instruments parfaitement accordés.
«Il y avait deux Zambombas, deux
tambours de
basque, des castagnettes, deux trompettes, deux sifflets de tons
différents, un
coucou, un coq, un rossignol et deux de ces petits pots en terre qu'on
remplit
à demi et dans lesquels on souffle pour imiter un gazouillis d'oiseaux.
«Tout cela partait, s'arrêtait,
reprenait dans
une mesure excellente. Seuls, les gazouillis étaient quelquefois en
retard et
gazouillaient de temps à autre, au milieu d'un silence ou quand ce
n'était plus
leur tour. Mais ils gazouillaient si bien, avec tant de gentillesse,
qu'il
était impossible de leur en vouloir.
«... D'ailleurs, le chef d'orchestre
faisait
les gros yeux et tout rentrait dans l'ordre.
«... On eut dit une Messe chantée dans
une
volière.
«Le coq, le rossignol et le coucou
étaient
surtout merveilleux. Ils s'appelaient et se répondaient avec une
impeccable
mesure. Les tambours et les castagnettes formaient la basse et ne se
reposaient
jamais.
«... Tout l'office fut célébré ainsi et
d'une
façon si naïve, si simple, si touchante, avec une foi si vive et si
sincère,
que le sourire qui m'était venu au début sur les lèvres, disparut très
vite,
pour faire place à une réelle émotion»[15].
Après la Messe de minuit, il est
d'usage, en
Espagne, de se saluer par ces mots: nacido [16] el Niño! (l'Enfant est né!)
Le jour des Rois (Dia de Reyes),
à
Madrid, une foule animée remplit les rues et les magasins. Le soir, des
enfants
portent des flambeaux, des échelles, dès sonnettes et des tambours,
parcourent
les rues et les places les plus écartées où ils font halte pour
«guetter
l'arrivée des Rois». Mais bientôt un «Messager» vient annoncer que les
Rois ont
pris «un autre chemin» et qu'ils font leur entrée à l'autre bout de la
ville.
Sur quoi, toute la bande se dirige vers l'endroit indiqué, où la même
scène
recommence.
Le jour de
l'Épiphanie, à Madrid, dans la
chapelle royale, une Messe solennelle est dite par le
Cardinal-Aumônier. Le
Roi, la Reine et toute la famille royale y assistent, avec toute la
Cour, en
tenue de gala. Après la Messe, le Roi fait porter sur l'autel trois
beaux
calices; le Cardinal les consacre et le Roi les envoie, en souvenir des
trois
Rois Mages, à trois églises pauvres[17].
3 Decemb. 1905.
Monseigneur CHABOT
Prélat
de Sa Sainteté
CURÉ DE PITHIVIERS (LOIRET)
On définit
ordinairement la
Bulle de la Sainte Croisade: «un diplôme papal, contenant de nombreux
privilèges, induits et grâces, accordé, au Roi d'Espagne pour l'aider
dans la
guerre contre les Infidèles.»
Pour obtenir cette
Bulle, il
faut résider dans les Royaumes, Provinces et territoires soumis
au Roi d'Espagne. Les étrangers
cependant peuvent validement jouir des privilèges de la Bulle, s'ils
viennent
en pays espagnols, même en y passant très peu de temps et quelle que
soit la
raison qui les y amène.
Autrefois, pour jouir
des
faveurs de la Bulle, il fallait aller en personne, dans l'armée
espagnole,
combattre les Infidèles, ou bien équiper à ses frais un soldat de cette
armée,
ou bien faire une aumône. Aujourd'hui, il suffit d'acheter la Bulle,
moyennant
une légère aumône, d'y inscrire son nom et de la conserver chez soi.
Entre autres
privilèges, la
Bulle accorde le droit de manger des oeufs et du laitage tous les jours
de
Carême, ainsi que de la viande tous les jours de jeûne et d'abstinence
de l'année.
Louis
d'Harcourt, Illustration,
1890.
Le terme rambla qui, vient de l'arabe,
désigne dans
toute l'Espagne le lit desséché d'un fleuve: souvent, comme à
Barcelone, il est
remplacé par de superbes boulevards. Ce qui fait que le mot de
Cervantés
s'applique encore à la grande cité qu'il appelle «une ville unique par
son site
et sa beauté», en
sitio y en
bellezza unica.
[11] Les églises espagnoles
ne contiennent pas habituellement
de chaises.
[14] La Quinzaine, loc. cit.
[15] Revue Marne. Noël 1902.
[17] Ce trait
édifiant et plusieurs autres nous ont été
racontés par un ecclésiastique qui a passé deux années à Madrid, et qui
a eu de
fréquentes relations avec la famille royale d'Espagne.
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