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La légende de la sauge
TANDIS que les bourreaux du roi Hérode, féroces et tout
couverts de sang, fouillaient la région de Bethléem pour égorger les petits
enfants, Marie se sauvait à travers les montagnes de Judée, serrant le
nouveau-né sur son cœur tremblant. Joseph courait à l'avant lorsqu'ils
apercevaient un village, pour y demander l'hospitalité ou même un peu d'eau
pour baigner le petit. Hélas, les gens étaient ainsi faits, dans ce pays si
triste, que personne ne voulait rien donner, ni eau, ni abri, pas même une
bonne parole.
Or, tandis que la pauvre mère se trouvait ainsi
seule, assise au bord du chemin pour allaiter le petit, tandis que son époux
menait l'âne à boire à un puits communal, ne voilà-t-il pas que des cris se
firent entendre à peu de distance. En même temps, le sol trembla sous le galop
des chevaux approchants.
- Les soldats d'Hérode !
Où se réfugier ? Pas la moindre grotte, ni le plus
petit palmier.
Il n'y avait près de Marie qu'un buisson où une rose s'ouvrait.
"Rose, belle rose, supplia la pauvre mère,
épanouis-toi bien et cache de tes pétales cet enfant que l'on veut faire
mourir, et sa pauvre mère à demi morte."
La rose, en fronçant le bouton pointu qui lui servait de nez, répondit :
" Passe vite ton chemin, jeune femme, car les bourreaux en m'effleurant pourraient
me ternir. Vois la giroflée, tout près d'ici. Dis-lui de t'abriter. Elle a
assez de fleurs pour te dissimuler.
- Giroflée, giroflée gentille, supplia la fugitive,
épanouis-toi bien pour cacher de ton massif cet enfant condamné à mort et sa
maman épuisée."
La giroflée, tout en secouant les petites têtes de son bouquet, refusa sans
même s'expliquer :
"Va, passe ton chemin, pauvresse. Je n'ai pas le temps de t'écouter. Je
suis trop occupée à partout me fleurir. Va voir la sauge, tout près d'ici. Elle
n'a rien d'autre à faire que la charité.
- Ah ! Sauge, bonne sauge, supplia la malheureuse
femme, épanouis-toi pour cacher de tes feuilles cet innocent dont on veut la
vie et sa mère, à demi morte de faim, de fatigue et de peur."
Alors tant et si bien s'épanouit la bonne sauge
qu'elle couvrit tout le terrain et de ses feuilles de velours fit un dais, où
s'abritèrent l'Enfant Dieu et sa mère.
Sur le chemin, les bourreaux passèrent sans rien voir. Au bruit de leurs pas,
Marie frissonnait d'épouvante, mais le petit, caressé par les feuilles,
souriait. Puis, comme ils étaient venus, les soldats s'en allèrent.
Quand ils furent partis, Marie et Jésus sortirent
de leur refuge vert et fleuri.
" Sauge, sauge sainte, à toi grand merci. Je te bénis pour ton bon geste
dont tous désormais se souviendront."
Lorsque Joseph les retrouva, il avait de la peine à
soutenir le train de l'âne tout ragaillardi par une vaste platée d'orge qu'un
brave homme lui avait donnée.
Marie remonta sur la bête en serrant contre elle son enfant sauvé. Et Michel,
l'archange de Dieu, descendit des hauteurs du ciel pour leur tenir compagnie et
leur indiquer le plus court chemin par lequel se rendre en Égypte, tout
doucement, à petites journées.
C'est depuis ce temps-là que la rose a des épines,
la giroflée des fleurs malodorantes, tandis que la sauge possède tant de vertus
guérissantes :
Comme
l'on dit en Provence :
«Celui qui n'a pas recours à la sauge
Ne se souvient pas de la Vierge.»
Joseph Roumanille
(repris par M. Toussaint-Samat)
Légendes et récits du temps de Noël.
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