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Bolivie:
On fête Noël

Pour
l'Indien de la région de Potosi, Noël est une fête éminemment populaire,
favorable au débordement de sa joie; c'est la Fiesta del Nino Salvador:
la fête de l'Enfant-Sauveur. Il imagine cet enfant très beau, couché dans
une pauvre étable, entouré de toute la création.
La
plupart des maisons fêtent le Nino en dressant une crèche dans laquelle on dépose
l'Enfant-Dieu, accompagné de la Vierge, de Saint-Joseph, et des trois rois
d'Orient; Melchior monté sur un cheval arabe, Gaspar, sur une mule et
Balthazar sur un éléphant.
Au
fond d'un énorme ravin, des pasteurs et leurs troupeaux de moutons et de chèvres
accourent vers l'étable, ça et là, des bœufs, des vaches, des poules et sur la
cime escarpée d'une montagne, un lion et un tigre veillent sur ce montage
symbolique du premier Noël.
L'autel,
sur lequel repose la crèche, est entouré de verdure, de jouets et de cadeaux de
toutes sortes. On dépose au bas, des boites de fer blanc très rustique
dans lesquelles on a semé du trigo (blé). On appelle donc ces boites;
triguitos de nino, elles constituent l'ornement le plus typique de la scène.
L'important pour l'Indien, c'est que le décor soit joli pour plaire au Nino
Salvador.
Puis,
avec sa famille, il ira danser, manger, boire et jouer de la musique tout le
jour du 25 décembre.
Dès
le 24, on fait appel aux membres absents de la famille pour fêter ensemble.
Quand celle-ci est au complet, elle forme procession pour se rendre à l'église
déjà illuminée. Chacun apporte son Enfant-Jésus couché sur un lit et le dépose
près de l'autel pendant la célébration eucharistique. Après la messe de
minuit, on ira à la file indienne le faire bénir par le curé à la sacristie.
Alors
le cortège reprend le chemin du foyer et, cette fois, les musiciens soutiennent
la marche. L'on déguste ensemble la picana, plat savoureux que l'on
accompagne de vin et d'autres liqueurs en chantant: "esta bicge es
noche bueva, noche de no dormir" ("cette nuit est la bonne
nuit, nuit de ne pas dormir") Et voici venue enfin l'heure de la
danse devant la crèche.
Les
couples se succèdent se tenant par la main et chantant à pleine voix, les
villancicos (cantiques de noël). Ensuite, chacun s'exécute en solo.
L'indien aime "ses danses"; La Chuntunqui et la Huachitorito surtout.
Dans
la Chuntunqui, le martèlement des pieds fait trembler le sol;
insensiblement, le danseur accélère la cadence qui devient de plus en plus trépidente.
Il tounoie devant l'Enfant-Jésus, accompagné des accords du charango (genre de
mandoline) et de ka quena (flûte)
La
seconde danse est rythmée de battements des mains, la femme fait retentir les
castagnettes et les triangles de métal; elle enroule un mouchoir au cou de son
partenaire et le conduit en dansant jusqu'au pied de la crèche. Ils
adorent silencieusement pendant que le doyen allume les cierges. Et l'on
danse, danse, danse, non seulement jusqu'aux derniers rayons de soleil
couchant, mais jusqu'à la fête des rois. Tout le long de cette octave,
des groupes d'enfants parcourent les rues de la ville jouant des airs
populaires sur leurs pajarillos, sorte de boites de fer blanc à deux petits
tuyaux, dans lesquelles on a introduit de l'eau.
Comme
on le voit, la danse joue un rôle prédominant pendant la période des Fêtes de
Noël; elle est reine! Sans cette réjouissance, les Indiens du
département de Potosi ne sauraient rendre gloire à l'Enfant-Sauveur. Les
danses de la nativité reflètent la foi simple et naïve de l'Indien de la
Bolivie et on peut dire avec raison que la région de Potosi en est un miroir saisissant.
Sous tous les cieux, l'Enfant-Sauveur attire à lui des âmes de tous âges, de
toutes races, de toutes classes sociales. Ces chrétiens vibrent dans
l'allégresse qui éclate en la radieuse journée du 25 décembre.
Céline
Trudeau m.i.c.
(Le
précurseur, Vil XXV, no 1, janv-fév, 1968)
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