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Noël en Povence
La bûche de Noël
Fidèle aux anciens usages, pour mon père, la grande fête,
c'était la veillée de Noël. Ce jour-la, les laboureurs dételaient de bonne
heure; ma mère leur donnait à chacun, dans une serviette, une belle galette à l'huile,
une rouelle de nougat, une jointée de figues sèches, un fromage du troupeau,
une salade de céleri et une bouteille de vin cuit. Et qui de-ci, et qui de-là,
les serviteurs s'en allaient, pour « poser la bûche au feu », dans
leur pays et dans leur maison. Au Mas ne demeuraient que les quelques pauvres
hères qui n'avaient pas de famille; et, parfois des parents, quelque vieux
garçon, par exemple, arrivaient à la nuit, en disant :
«
Bonnes fêtes ! Nous venons poser, cousins, la bûche au feu, avec vous autres. »
Tous ensemble, nous allions joyeusement chercher la
« bûche de Noël », qui – c'était de tradition – devait être un arbre
fruitier. Nous l'apportions dans le Mas, tous à la file, le plus âgé la tenant
d'un bout, moi, le dernier-né, de l'autre ; trois fois, nous lui faisions
faire le tour de la cuisine ; puis, arrivés devant la dalle du foyer, mon
père, solennellement, répandait sur la bûche un verre de vin cuit, en
disant :
Allégresse ! Allégresse,
Mes beaux enfants, que Dieu nous comble d'allégresse !
Avec Noël, tout bien vient :
Dieu nous fasse la grâce de voir l'année
prochaine.
Et, sinon plus nombreux, puissions-nous n'y pas
être moins.
Et, nous écriant tous : « Allégresse, allégresse,
allégresse ! », on posait l'arbre sur les landiers et, dès que
s'élançait le premier jet de flamme :
À la bûche,Boute feu ! disait mon père en se signant. Et, tous, nous nous mettions à
table.
Oh ! la sainte tablée, sainte réellement, avec, tout à
l'entour, la famille complète, pacifique et heureuse. À la place du caleil, suspendu à un roseau,
qui, dans le courant de l'année, nous éclairait de son lumignon, ce jour-là,
sur la table, trois chandelles brillaient ; et si, parfois, la mèche
tournait devers quelqu'un, c'était de mauvais augure. À chaque bout, dans une
assiette, verdoyait du blé en herbe, qu'on avait mis germer dans l'eau le jour
de la Sainte-Barbe. Sur la triple nappe blanche, tour à tour apparaissaient les
plats sacramentels : les escargots, qu'avec un long clou chacun tirait de
la coquille; la morue frite et le mugeaux
olives, le cardon, le scolyme, le céleri à la poivrade, suivis d'un tas de
friandises réservées pour ce jour-là, comme : fouaces à l'huile, raisins
secs, nougat d'amandes, pommes de paradis ; puis, au-dessus de tout, le
grand pain calendal, que
l'on n'entamait jamais qu'après en avoir donné, religieusement, un quart au
premier pauvre qui passait.
La veillée, en attendant
la messe de minuit, était longue ce jour-là ; et longuement, autour du
feu, on y parlait des ancêtres et on louait leurs actions.
Frédéric Mistral
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