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Qui connaît M. Fouettard ?Zwart Piet (Pierre le Noir) en Hollande, Housecker au Luxembourg, Krampus (crochet) en Autriche, Ruprecht ou Knechtrupecht,
le Père Fouettard porte autant de noms que son acolyte rougeoyant. Il
est parfois représenté avec des cornes et/ou une queue. Nommé Bartel, Pelzbock, Rasselbock, Peznickel ou Pelzruppert en Rhénanie et en Silésie, il apparaît même sous la forme d’un métamorphe mi-homme mi-bouc.
Contrairement à sa sainteté qui fut évêque, le Père Fouettard porte en général de larges bottes crasseuses, une tunique brune et une barbe noire bien fournie. Il manie toutes sortes de fouets, martinets et autres baguettes de flagellation. Qu’il porte les attributs du tanneur ou du charbonnier, il est, en plus d’être pauvre, sale et méchant. Pire encore, dans la tradition belge et hollandaise, c’est un esclave noir. Il porte de gros anneaux, des habits chatoyants et emporte les vilains garnements jusqu’en Espagne. Symbole du mal
On prête diverses origines à la légende du Père Fouettard, la plus ancienne remontant au IVe siècle de notre ère. Nicolas de Myre,
originaire des environs d’Antalya en Turquie, fut un contemporain du
concile de Nicée et des dernières vagues de persécutions romaines. La
légende raconte qu’il permit la résurrection de trois petits enfants,
sauvagement découpés par un boucher psychopathe, ce qui en fit le Saint
patron des enfants. La figure du boucher, elle, est parfois considérée
comme la première occurrence du Père Fouettard, condamné à suivre
éternellement Saint Nicolas pour punir les enfants qui ne méritent pas
ses largesses.
A Metz, on raconte que le Père Fouettard est né à la période de Noël, lors du siège de la ville par les armées du Saint Empire de Charles Quint en 1552. Les habitants auraient singé l’empereur en le représentant sous l’effigie du boucher de la légende muni d’un fouet, qui poursuivait dans sa parade canailles et jouvencelles, dans les coursives de la cité pour leur tanner la croupe. Il fut monté sur les murailles et incendié pour démoraliser l’assiégeant. Le mannequin noirci fut ressuscité les années suivantes aux mêmes périodes que Saint Nicolas. Une lignée d’épouvantails
Une autre légende alsacienne, ma préférée, fait remonter l’apparition du Père Fouettard, dit « Hans Trapp »,
à la fin du moyen-âge, dans la ville alsacienne de Wissembourg. Les
écrits des moines de l’abbaye locale rapportent qu’un seigneur déchu
vivait retranché dans l’imprenable château de Bewartstein. Il fit
régner, de 1480 à 1503, une ère de terreur, de pillages, d’enlèvements
et de massacres sur le nord de l’Alsace, le Palatinat, Wissembourg et
son abbaye. On lui prête différents noms, Axel Biard ou « Père Legendre » en France, Hans von Drodt, Rüpeltz, ou plus vraisemblablement Hans von Trotha,
en langue allemande. La ville disputait au sanguinaire Chevalier
Thuringien la propriété du château, sans avoir jamais pu imposer ses
vues.
Il est dit que, pour assiéger la ville, Von Trotha construisit un barrage qu’il laissa se remplir plusieurs semaines, avant d’inonder les rues et les terres de l’abbaye. Les habitants traumatisés inventèrent en son souvenir un personnage hirsute et terrifiant, qui allait de foyers en foyers, au soir de Noël pour faire réciter poèmes et prières aux enfants. Les malheureux qui n’y parvenaient pas étaient enlevés et fouettés. La lignée du Père Fouettard de Wissembourg a produit un autre croquemitaine. Lothar Von Trotha, Général des forces coloniales de l’empire allemand de 1896 à 1908, est considéré comme le premier génocidaire du XXème siècle. Il s’est rendu coupable du massacre systématique de plus de 60 à 100 000 Hereros en Namibie, soit près des neuf dixièmes de leur population. Les survivants ont été enfermés dans les premiers camps de concentration, hérités de la guerre des Boers, où ils subirent notamment des expérimentations médicales. Les enfants pas sages sont sans papiers !?Le Père Fouettard n’est pas
toujours l’ennemi du Père Noël, mais son homme-lige négatif dévolu aux
basses besognes de la punition. Ils paradent d’ailleurs ensemble dans
les pays germaniques et nordiques, lorsqu’on fête Saint-Nicolas. Car,
chacun le sait, le Père Noël est un saint, choisi parmi les hommes pour
la concordance de ses actes avec le dessin de Dieu. Je crois que dans
une culture où le dieu se doit d’être bon et miséricordieux, le Père
Fouettard est une icône destinée à cristalliser et à évacuer toute
référence négative. Car il me semble que notre morale veut que la
récompense (de l’enfant sage) prenne toute sa valeur dans son rapport
dialectique à la punition (de l’enfant pas sage). Cela peut sembler
dommage, mais on est aussi heureux d’être récompensé parce que d’autres
sont lésés ou punis.
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