Le mois de décembre en Martinique est un mois, en principe, marqué par
différentes traditions toutes liées aux fêtes de Noël qui se
profilent.
Des traditions où chaque week-end lors de la période de l'avent[
1], des chantés Noël se déroulent un peu partout dans, les villes et les campagnes.
Ce sont des rassemblements de personnes qui se rendent chez un
particulier, à la nuit tombée pour chanter des cantiques de Noël toute
la nuit. Ces « chanté-nwel » sont ouverts à tous, la coutume et
la bienséance veulent que l’on ne s’y rende pas les mains vides (cf.
La Noël an lé morne !)
Des traditions culinaires aussi avec, les mises en bouche que sont
les petit-pâtés de Noël, le jambon de Noël et le boudin, puis
avec la composition du plat principal de Noël fait du ragoût de cochon
accompagné de pois d’angole et d’igname de Noël (yanm sassa, la seule
que l'on trouve pendant cette période l'année en Martinique.)
Tous ces mets nécessitent de longues préparations.
D’ailleurs à bien y regarder ces préparatifs de Noël commencent bien
avant décembre, ils débutent dès les mois de juillet-août où des
pelures d'oranges et de mandarines de saison sont conservées. Ces
écorces sont réservées et mises à sécher au soleil, puis une fois
quelles ont atteint une certaine rigidité, c’est alors que ces
peaux sont cassées facilement en petits morceaux, insérées dans
une bouteille vide que l’on finit par remplir de rhum blanc.
Cette préparation, sorte de macération alcoolisée est ensuite
mise à vieillir au soleil, ce vieillissement produit une essence
d’agrumes que l’on pourrait assimiler à un triple sec de grand cru,
c’est la base du schrub, un des alcools de Noël en Martinique, à
l’instar du punch-coco.
Au mois de décembre on termine le schrub, on additionne de façon
empirique à cette essence d’agrumes, un sirop confectionné avec
les "groseilles" récoltées au début du mois de décembre, du sucre de
canne, une gousse de vanille et un bâton de cannelle, le résultat
obtenu est liqueur d’une robe incomparable, riche en saveur et au goût
unique.
Le punch coco ne nécessite pas une aussi longue préparation en amont.
Pour cette délicieuse liqueur onctueuse à base de lait de coco, la
première chose consiste à récolter ce fameux lait de coco, il faut pour
cela au préalable casser des cocos secs, décortiquer la chaire blanche
en prenant bien soin d’éplucher la petite peau noire qui se trouve
au-dessus. Après cette première opération anciennement on « grajeait »
ces morceaux de coco, c'est-à-dire qu’on les râpait à l’aide d’une râpe
en fer dit la « graj » en créole, pour en extraire ainsi le lait de
coco.
Les mœurs évoluant avec les innovations technologiques, la « graj » a
été délaissée au profit de la centrifugeuse d’abord manuelle puis
électrique.
Le précieux lait de coco est après savamment combiné avec du rhum
blanc, du sirop de groseille ou à défaut du sucre de canne, du lait, de
la cannelle, d’une gousse de vanille fendue en deux et parfois d’une
pointe de muscade. Avec le temps certains on remplacé, par souci de
rapidité, le sirop de groseille et le lait par du lait concentré
« Nestlé »[
2].
Les breuvages alcoolisés festifs de Noël que sont le schrub et le
punch coco, sont associés du traditionnel « ti-punch » composé de deux
volumes de rhum blanc, d’aucun disent « deux doigts de rhum », d’une
cuillère à café de sucre de canne et d’un petit morceau de citron vert
dit « citron à punch », mais à l’inverse des autres liqueurs le
ti-punch est consommé tout au long de l’année.
Les Martiniquais et Martiniquaises dépourvus de cette transmission
culturelle, c‘est à dire ceux qui n’avaient pas eu dans leur entourage
quelqu’un pour leur apprendre comment préparer le schrub et le punch
coco, avaient tout de même la possibilité de s’approvisionner « dans
les mains des marchandes sur le marché. »
L’industrialisation est passée par-là et le schrub et le punch-coco
sont aussi fabriqués par les distillateurs, à plus grande échelle
certes mais avec une texture plus liquide, un goût uniformisé et une
saveur amoindrie en arômes.
Toutes ces bouteilles vendues dans tout les super et hypermarchés font
une rude concurrence aux bouteilles réalisées artisanalement qui sont
exposées sur l’étalage des marchandes.
Cependant avec cette commercialisation le schrub et du punch-coco qui
n’étaient en principe exclusivement consommés qu’à Noël, peuvent depuis
être bu n’importe quand dans l’année.
Des petits pâtés et des jambons de Noël sont aussi fabriqués
industriellement et sont commercialisés en grande distribution pour
l’instant seulement à l’occasion des fêtes de fin d’année.
L’industrialisation des composantes de la tradition de Noël a même
atteint les « chanté-nwel » où l’industrie du disque par
l’entremise de labels locaux a permis la promotion de groupes tels que
« Ravine plate » et mis leurs ritournelles en cd.
Cela a contribué à une plus large diffusion de cette tradition
culturelle, en revanche ces groupes qui animaient des chanté Noël chez
l’habitant toute la nuit ne peuvent plus le faire, car ils drainent
trop de monde, ils se produisent désormais dans des salles avec
podium où ils mènent le cantique à une allure cadencée.
Mais cette année on a pu dénoter un nouveau phénomène commercial
dans « les chanté-nwel », à savoir des « chanté-nwel » payants qui sont
diamétralement opposée à l’esprit même de la tradition.
En effet, dans un « chanté-nwel » traditionnel on ne paye jamais, mais
on compense en apportant une bouteille de jus ou de soda ou
encore une bouteille d’alcool de circonstance soit une bouteille
de rhum, de schrub ou de punch coco.
La participation amenée à un « chanté-nwel » peut être aussi d’ordre
alimentaire, notamment en apportant des petits pâtés, le jambon de
Noël, on trouve même dans le commerce des jambons de Noël vendus
spécialement pour les « chanté-nwel », ou encore une tarte ou un
gâteau, etc.
Comme la personne qui reçoit le « chanté-nwel » ouvre généreusement sa
demeure à tous, cette participation en nature est destinée à tous ceux
qui viennent chanter les cantiques et s’inscrit dans un concept de
convivialité.
Avec ces « chanté-nwel » d’un nouveau genre, il n’est plus besoin d’amener une participation, puisque l’on paye son entrée.
Ceci étant, si cette pratique se développe de trop, cela risque à terme
de porter atteinte à la vente des produits alimentaires
destinée aux festivités de Noël.
Par ailleurs, ces « chanté-nwel » se déroulent autrement car on ne
chante plus les cantiques toute la nuit, à savoir du début à la fin du
livre de cantiques, on ne chante les cantiques plus que pendant 2h30 à
3h00 maximum, en reprenant certains cantiques plusieurs fois, l’allure
rythmique de ces chanté Noël est encore plus rapide que les «
chanté-nwel » avec des groupes sur les podiums.
Une fois le temps du chant écoulé, tout le reste de la soirée dérive en zouk.
Ainsi au fil du temps, la tradition de Noël en Martinique instaurée par
nos ancêtres qui ont adapté la célébration de la nativité chrétienne
aux ressources de l’île et à leur nature martiniquaise a évolué.
Bénéficiant des innovations technologiques, des procédés de
fabrications alimentaires se sont alors modernisés, voire même
industrialisés et si dans certains produits commercialisés on peut
dénoter une atténuation gustative, cette modernité dans la
tradition contribue tout même par moment à gagner du temps, cela
sert aussi à pallier à une transmission culturelle défaillante.
Mais la commercialisation à outrance d’une tradition basée sur
l’échange et la convivialité semble conduire dans les mœurs à des
dérives individualistes muées par une quête du profit, y compris au
prix de l’identité traditionnelle martiniquaise.